Le drame survenu le jeudi dernier à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo avec comme point d’orgue la découverte du corps sans vie du député nationale de l’opposition et ministre honoraire des Transports, Voies et Communication, Chérubin Okende, vient de mettre encore en épreuve la confiance du Chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi en la justice qu’il considère comme tâche noire de son quinquennat.
En effet, seulement 5 jours séparent le meurtre de ce député national et porte-parole du parti politique Ensemble pour la République de Katumbi et l’interview du Président de la République diffusée sur la télévision publique, au cours de laquelle il a évoqué sa déception du bilan de la justice.
Répondant aux questions de sa propre porte-parole, ou plutôt officiellement aux « interrogations du peuple », relayées par Tina Salama après collecte via une plateforme digitale dédiée, Félix Tshisekedi a habilement identifié un bémol sur son mandat.
« S’il y a un bémol à mettre sur mon bilan, je ne suis pas satisfait du bilan dans le domaine de la justice. J’ai beaucoup compté sur le pouvoir judiciaire. Comme on le dit dans la bible, la justice élève la nation. Malheureusement dans notre cas, la justice détruit notre Nation », a déploré Félix Tshisekedi lui qui prône l’État de droit, d’exporter un concept symbolisant la réforme de la justice en RDC.
De plus, le président congolais a évoqué, le même samedi, le fait que les chefs d’institutions et lui ne sont pas « sur le même diapason ».
« J’ai tout mis en œuvre pour essayer de faire comprendre, surtout aux chefs d’institutions ma vision, mais malheureusement, je n’ai pas l’impression que nous sommes sur le même diapason », a-t-il regretté tout en prenant soin de préciser, rapidement, qu’il n’était pas impliqué dans les démarches visant l’arrestation ou la libération de certaines personnes comme pour faire la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire garantie par la constitution.
« Nous récoltons souvent la critique de l’opinion de manière injuste. Par exemple, lorsqu’on met quelqu’un en prison de façon préventive, en attendant son jugement, et qu’on le libère après, on pense toujours qu’il y a l’intervention de l’Etat. Je peux vous le dire devant Dieu, je ne suis intervenu dans aucun cas de ce pays pour demander l’arrestation ou la libération de quelqu’un, jamais. Parce que je veux que la justice soit indépendante », a-t-il argué tout en supputant que les institutions doivent être libres d’exercer leur pouvoir sans contraintes venant de la hiérarchie. « Je pense que cette justice a besoin de réformes », a-t-il martelé.
Faut-il faire confiance en cette justice qui détruit la Nation ?
Déjà, au même jour de la découverte du corps criblé de balles de Chérubin Okende dans sa voiture, la veille d’une invitation de la Cour constitutionnelle de la RDC, Félix Tshisekedi se dit en colère et « consterné » par la disparition, dans des « conditions tragiques », de l’ex-ministre des Transports et Voies de communication.
Rapidement, il instruit cette même justice, tâche d’huile de son mandat à faire toute la lumière sur ce dossier afin de sanctionner les coupables de cet acte ignoble.
« Je désapprouve fermement et condamne avec la dernière énergie, ce crime odieux qui a ôté la vie à un serviteur de la République dans des conditions tragiques que rien et alors rien ne saurait justifier. Je ne puis, en effet, contenir en ma qualité de garant de la Nation, de la paix et de la sécurité individuelle et collective, et aussi du bon fonctionnement des institutions, ma colère et mon indignation quant à l’atteinte faite, par cet acte odieux, aux symboles de la République. Ce crime ne demeurera point impuni. Encore une fois, j’appelle au nom du peuple congolais la justice, dans son impartialité et dans son indépendance, à faire toute la lumière sur cette ignoble affaire », a déclaré Félix Tshisekedi lors de la réunion du Conseil des ministres du vendredi 14 juillet.
Quoi que Félix ait fait appel à la justice de son pays pour faire la lumière sur ce qui s’apparente à un crime d’Etat, la méfiance entre le magistrat suprême et le pouvoir judiciaire est évidente. Pour cette enquête, la RDC a opté pour une multidisciplinarité avec expertise de services étrangers. Selon le gouvernement qui s’était réuni autour du Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, c’est pour le besoin de « rapidité et de transparence ».
En conseil des ministres, Félix Tshisekedi a instruit Rose Mutombo, ministre de la justice de prendre contact avec les autorités belges pour être associés à l’enquête ouverte après l’assassinat de Chérubin Okende. Les experts sud-africains pourront aussi être associés.
La veille de son meurtre, soit le 12 juillet, l’élu de Lukunga était convoqué à la Haute Cour pour être auditionné sur ses patrimoines après son passage à la tête du ministère des Transports. Sur place, selon son entourage, il a demandé à son garde du corps de déposer son courrier demandant un report de 24h.
Le même mercredi, en début d’après-midi, ses proches ont alerté sur son enlèvement. Ses téléphones éteints. Aucune nouvelle de lui. Son garde du corps a, lui aussi, dit constater sa « disparition » au parking de la Cour constitutionnelle.
Son parti politique Ensemble pour la République a d’ores et déjà imputé cet acte ignoble au régime au pouvoir.
« Ensemble pour la République qui a condamné dès hier, cet enlèvement crapuleux est consterné par cet ignoble assissinat qui rappelle les vieilles pratiques dictatoriales des régimes aux abois. Cet acharnement malsain sur l’opposition politique et en particulier Ensemble pour la République, a atteint son paroxysme. Il y a lieu de craindre que le discours du Président de la République à Mbuji-Mayi dernièrement, sur sa volonté de durcir la répression en faisant fi des droits de l’homme et des libertés des citoyens servent d’accélérateur à cette dérive. Si l’on peut se faire enlever dans l’enceinte de la plus haute juridiction du pays, la Cour constitutionnelle, et se retrouver sauvagement abattu quelques kilomètres plus loin, c’est que nous ne sommes plus en sécurité, nulle part en RDC », a déclaré le secrétaire général du parti de Moïse Katumbi. Katumbi, puisque c’est de lui qu’il s’agit a dénoncé pour sa part, un assassinat politique pour le réduire au silence après l’arrestation de Salomon Kalonda Della, un de ses hommes de confidence.
Appel à témoin
Alors que plusieurs sources évoquent l’enlèvement du défunt Chérubin Okende par des hommes armés au parking de la Cour constitutionnelle, la justice a émis des doutes.
La Cour Constitutionnelle a affirmé n’avoir pas reçu dans ses installations l’ancien ministre des Transports le mercredi 12 juillet 2023. Néanmoins, elle reconnaît avoir réceptionné sa lettre déposée par un de ses proches.
« S’il y a des gens qui l’ont vu à la Cour le mercredi, qu’ils viennent nous le dire. A ce stade, nous ne pouvons pas le confirmer car nous n’avons reçu que sa lettre où il dit qu’il ne pouvait pas venir. S’il était venu, c’est lui-même qui recevrait la lettre. S’il était resté à l’extérieur comme on le raconte les rumeurs, personne à notre niveau ne pourrait l’affirmer. On va piéger le ministre à la Cour, on est dans quel pays? », s’est questionné le premier président de cette juridiction, Dieudonné Kamuleta lors d’une conférence de presse tenue le 13 juillet.
A 5 mois des élections générales, le climat politique est crispé. En plus des contestations qui planent toujours sur « l’impartialité et l’indépendance » de la commission électorale nationale indépendante (CENI), ces derniers mois ont été caractérisés par les arrestations des opposants au régime en place.
De Salomon SK Della, bras droit de Moïse Katumbi passant par Lens Omelonga du parti Envol de Delly Sesanga, Mike Mukebayi à Franck Diongo, le modus operandi de leurs arrestation et détention a été décrié.
L’opposition déplore la violation chronique des droits et libertés garantis par la Constitution, le règne de l’arbitraire et l’insécurité généralisée menaces et intimidations récurrentes; enlèvements et arrestations intempestives; anathèmes dénigrants, aux relents identitaires, à l’endroit des leaders de l’opposition, de la société civile, en ce compris l’Eglise Catholique, et de la presse indépendante, le tout à la veille des élections générales.
La famille politique de l’ancien président Joseph Kabila (FCC) a dans un communiqué, alerté sur le risque qui, suite aux menaces publiques maintes fois réitérées à l’endroit des opposants par « la milice » de l’UDPS, pèse dorénavant sur leur vie. Le FCC dénonce en même temps, une dictature qui s’enracine davantage, avec pour stratégie, l’installation d’un régime de terreur.