En marge de la rentrée judiciaire de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en RDC se réunit en audience solennelle et publique ce lundi 16 octobre, au cours de laquelle le premier président a prononcé un discours, le procureur général une mercuriale et le Bâtonnier du barreau près la Cour de cassation une allocution. Cette disposition est conforme à l’article 64 alinéa 1 de la loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire.
Intervenant dans un contexte particulier marqué par les vives critiques formulées à l’encontre de l’appareil judiciaire par le Président de la République et magistrat suprême, Félix Tshisekedi, le discours du premier président de la Cour de Cassation, Elie Léon Ndomba s’est voulu une réponse immédiate aux maux qui rongent le secteur judiciaire congolais. A cet effet, il a orienté sa réflexion autour du thème : « Les obstacles à la justice : facteurs du sous-développement ».
D’emblée, Elie Léon Ndomba a inscrit son speech dans une perception « pratique et concrète » de la responsabilité, non seulement des acteurs judiciaires et non judiciaires, mais aussi, à certains égards, du législateur dans la déliquescence de la justice congolaise. A ce titre, il a évoqué quelques antivaleurs qui gangrènent l’appareil judiciaire et par conséquent, influent sur sa qualité.
Il s’agit notamment de la corruption, l’indiscipline, le trafic d’influence et les moyens « dérisoires » alloués au pouvoir judiciaire pour son fonctionnement ainsi que, dans une certaine mesure, quelques dispositions légales qui suscitent des difficultés.
« La corruption étant un danger, nous devons mettre en place des outils pour dénoncer le corrupteur et le corrompu, il nous faut réactiver des chambres disciplinaires pour infliger des sanctions aux magistrats soupçonnés des actes de corruption », a préconisé d’entrée de jeux, le premier président de la Cour de cassation, Elie Léon Ndomba.
En dehors de la corruption qui bat en brèche la noblesse de la profession de magistrat, le premier président de la Cour de cassation a ajouté l’indiscipline qui frise le libertinage ainsi que le trafic d’influence qui discrédite davantage la justice congolaise. Selon lui, le trafic d’influence n’est pas uniquement imputable aux acteurs judiciaires mais également à ceux non judiciaires qui, eux, opèrent souvent dans l’ombre.
« En effet, certains compatriotes élevés en dignité, en occupant des fonctions politiques ou administratives importantes, abusent de leur position pour interférer dans l’administration de la justice en violation manifeste de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans leur modus operandi, ils font allusion à votre haute personnalité, alors que tel n’est pas le cas de sorte que les magistrats, par crainte de leur influence, vraie ou imaginaire, dans l’évolution de leur carrière, tombent dans le piège en rendant des décisions contraires à la loi et à leur conscience sans qu’ils n’aient été corrompus », a-t-il argué.
Pour lui, en effet, ces obstacles qualifiés, sous peu, de cancer par le Président Tshisekedi, doivent être combattus comme la maladie ou la pauvreté.
Moyens dérisoires alloués à l’appareil judiciaire
Dans la suite de son discours, Léon Ndomba a plaidé pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des animateurs du pouvoir judiciaire afin de leur permettre de jouer le rôle primordial assigné et attendu de la justice dans le relèvement et le développement de Nation ainsi que de l’État de droit. Il est d’avis que la mise en œuvre de l’article 149 alinéa 5 de la Constitution sur son autonomie budgétaire, par la mise à disposition d’une dotation propre, est de nature à résorber les obstacles identifiés à cet effet.
« Aussi, tout en affirmant que sans la justice, il n’y a pas de développement, vous avez engagé le gouvernement de la République à travailler avec le Conseil supérieur de la magistrature, organe de gestion du pouvoir judiciaire, de doter celui-ci des moyens adéquats pour notamment le fonctionnement des juridictions et offices des parquets, l’amélioration du traitement des magistrats, les frais de mutations, les primes de brousse et surtout la prise en charge médicale.Tout en espérant que cette instruction sera mise en œuvre dans le projet de loi budgétaire en cours d’examen au Parlement, il y a lieu, à mon humble avis, d’identifier, à titre indicatif, quelques obstacles auxquels notre justice est confrontée tant au niveau humain que matériel », a-t-il souligné.
En guise de solutions pour éradiquer les maux sus évoqués, il a aussi énuméré le déploiement des équipements numériques de détection de fraude ou de corruption dont des caméras et des écouteurs de divers formats, l’instauration d’une approche préventive des manœuvres de corruption dans l’ensemble de l’appareil judiciaire et la réactivation des chambres disciplinaires en ce qui concerne les magistrats.
« S’agissant de la corruption, la solution réside dans la dénonciation du corrompu et du corrupteur étant donné que cette infraction est à la fois active et passive. Mais, cette dénonciation doit être soutenue par des preuves matérielles irréfutables devant les autorités compétentes », a-t-il pesté avant de rappeler que « les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent d’apporter la preuve à l’insu du corrupteur et/ou du corrompu ».
« Par ailleurs, je pense aussi à l’approche préventive dans laquelle je me suis investi depuis la prise de mes fonctions par la vulgarisation dans tous les ressorts judiciaires en impliquant tous les chefs des juridictions, les agents de l’ordre judiciaire, les barreaux ainsi que les partenaires techniques et financiers du secteur de la justice », a-t-il ajouté.
Elie Léon Ndomba a, à juste titre salué la recommandation faite par le Président Tshisekedi lors de la 113ème réunion du Conseil des ministres du 15 septembre 2023 au cours de laquelle il a, d’une part, réitéré le vœu de l’instauration de la sanction qui requiert un fonctionnement efficient des chambres de discipline au sein du Conseil supérieur de la magistrature et, d’autre part, chargé le gouvernement, à travers les ministères du Budget et des Finances, de tout mettre en œuvre pour la matérialisation de cette recommandation.
In fine, la Cour de Cassation a sollicité l’implication effective des autres pouvoirs, d’abord, législatif, pour non seulement des réformes urgentes des textes légaux mais également, en tant qu’autorité budgétaire, de concourir à la matérialisation de l’autonomie budgétaire proclamée par la Constitution de la République ; et, ensuite, exécutif, pour disponibiliser les moyens financiers alloués au pouvoir judiciaire.
Justice, pivot de l’État de droit
Depuis son accession à la magistrature suprême de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi a placé l’instauration de l’État de droit comme l’un des piliers de son premier quinquennat. Nonobstant, Félix Tshisekedi s’est dit récemment déçu du bilan de l’appareil judiciaire qui, selon ses termes, détruit le pays en lieu et place de le bâtir.
De la corruption à la théâtralisation des décisions, Félix Tshisekedi avait fait un réquisitoire sévère à l’encontre de l’appareil judiciaire qui constitue même la tâche noire de son premier mandat à la tête de la RDC.