Ce lundi, la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) a officiellement déployé le premier convoi de soldats à Kimoka, 2 kilomètres de Sake sur l’axe Kilolirwe-Kitshanga. Ce déploiement rentre dans le cadre de l’opération conjointe dénommée Springbok, lancée en grande pompe avec l’armée congolaise.
Selon cette coalition, l’opération aurait pour objectif principal de protéger la ville de Goma , chef-lieu de la province du Nord-Kivu et la cité de Sake contre l’avancée des terroristes du M23 qui sont selon Kinshasa et plusieurs rapports des experts de l’ONU, soutenus par Kigali.
« Nous avons décidé, tout d’abord, d’établir une ligne de défense solide à l’entrée de Goma et Sake. Il s’agit pour l’instant d’une approche défensive, mais si des groupes armés illégaux tentent d’attaquer Sake et Goma, nous passerons d’une position défensive à une position offensive », a expliqué le général Otávio Rodrigues de Miranda Filho
Avec cette opération, la Monusco serait désormais à mesure d’appuyer sur la gâchette pour protéger Goma et Saké, elle, qui depuis la chute de Bunagana et l’occupation de plusieurs dizaines d’autres entités dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo, n’a pas eu du toupet de lever un seul doigt contre le tandem M2/RDF.
« Les Nations unies ne sont pas capables de battre le M23 »
En prélude de la 77e Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en septembre 2022, le Secrétaire Général António Guterres a admis sans détour, « l’impuissance et l’incapacité » des Casques bleus de la force onusienne en RDC [Monusco Ndlr ] à résoudre le casse-tête d’insécurité dans la partie Est marqué par la résurgence des groupes armés locaux et étrangers, mais surtout avec l’exhumation du Mouvement du 23 mars, considéré par le gouvernement congolais comme mouvement terroriste.
Lors d’une interview accordée à Radio France Internationale et France 18 septembre 2022, le SG de l’ONU a affirmé que le M23 est mieux équipé que la Monusco. Selon Guterres, le M23 est aujourd’hui une armée moderne avec des équipements plus perfectionnés que les équipements des forces onusiennes.
« On [l’ONU et la communauté internationale] est dans une situation extrêmement difficile. Voyez le M23. Le M23 a été la raison de ces dernières manifestations (de la population congolaise dans l’est de la RDC pour réclamer le départ de la Monusco, accusée d’inefficacité dans la lutte contre les groupes armés, NDLR.), mais aussi le fait que les Nations unies ne sont pas capables de battre le M23 », a affirmé le SG de l’ONU dans une interview diffusée par la chaîne de télévision France 24 et Radio France Internationale (RFI).
S’agissant de la source des moyens du M23, António Guterres a tout simplement rétorqué qu’ils viennent de quelque part sans fournir le moindre détail contrairement aux allégations des autorités congolaises qui accusent le Rwanda de fournir les équipements militaires au M23.
« Ils ne sont pas nés dans la forêt. Ils viennent de quelque part. Ce qu’il faut, à mon avis, et c’est l’essentiel, c’est de trouver une discussion sérieuse entre le Congo, le Rwanda et l’Ouganda pour qu’on puisse avoir une perspective conjointe pour éviter cette permanente situation qui nous fait toujours, quand on a un progrès, revenir en arrière. Il faut que ces pays se comprennent mutuellement et il faut que ces pays coopèrent effectivement pour la sécurité de l’est du Congo, et aussi pour les garanties de sécurité, il ne faut pas l’oublier, du Rwanda et de l’Ouganda », a-t-il renchéri.
Springbok ou une campagne de communication pour la survie
Le moment choisi pour le lancement de cette opération n’est pas anodin. Les congolais ont, en effet, retiré leur confiance en la Mission onusienne présente depuis plus de vingt (20) ans avec un bilan mitigé malgré les gros moyens financiers mis à sa disposition comme illustre d’ailleurs les dernières réactions du gouvernement.
Recoller les morceaux, la Monusco se serait-elle lancée dans une campagne pour regagner la confiance perdue? Kinshasa qui estime « illusoire et contre productif » de compter sur la Monusco, a déjà lancé le processus du retrait de cette Mission onusienne.
Lors de la récente Assemblée générale, le Président congolais Félix Tshisekedi a affirmé que l’accélération du retrait de la Monusco est devenue une nécessité impérieuse pour apaiser les tensions entre la mission de l’ONU et la population congolaise. Il a aussi souligné l’importance pour la RDC d’explorer de nouveaux mécanismes de collaboration stratégique avec les Nations Unies, qui tiennent mieux compte des réalités actuelles du pays.
La RDC estime que l’ONU et le Conseil de sécurité ne se sont pas suffisamment manifestés pour rassurer la population congolaise et convaincre de leur volonté politique réelle d’aider la RDC à mettre fin à la crise dont ses citoyens paient un lourd tribut. A ce titre, Kinshasa a justifié « le mécontentement et les frustrations » des populations de l’Ituri et du Nord-Kivu traduits par des manifestations populaires violentes de juin-juillet 2022, à Goma, Beni, Butembo et Kasindi, exigeant le départ de la Monusco de la RDC et qui ont causé la mort de 30 civils et 5 casques bleus.
« Depuis lors, en réalité, la confiance a été rompue et n’est plus revenue entre les habitants de ces contrées, sinon l’ensemble des Congolais et la Monusco. Si elle n’est pas patente, la tension ne reste pas moins latente, prête à dégénérer à tout moment en choc frontal comme le démontre l’ultimatum de quitter le territoire congolais d’ici le mois de décembre, lancé actuellement à Rutshuru par les Wazalendo à la Monusco et aux Forces régionales de la Communauté d’Afrique de l’Est. Les derniers incidents malheureux survenus à Goma le 30 Août 2023 et qui sont soldés par des pertes en vies humaines, n’ont fait que confirmer cette appréhension et devraient interpeller le Conseil de sécurité », a détaillé le ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula pour qui le rejet de la Mission onusienne par les congolais est d’autant plus fort que les processus de paix de Nairobi et de Luanda sont bloqués par le Rwanda et le M23 qui refusent d’obéir aux demandes de la Communauté internationale et d’appliquer le plan de paix issu de ces deux processus sans que ni les casques bleus de l’ONU, ni la Force régionale de l’Afrique de l’Est présents au Nord-Kivu ne les y contraignent.
Pour le gouvernement congolais, la Monusco a perdu sa crédibilité et la confiance des congolais et s’est disqualifiée pour servir encore de réponse institutionnelle adéquate et efficace à la crise sécuritaire à l’Est de la RDC.
« Bien au contraire, aux yeux de la population congolaise, elle devient un problème à résoudre plutôt qu’une solution à cette crise », a-t-il argué, accusant l’ONU de faire fi de la proposition du gouvernement en ce qui concerne le réajustement du mandat de la Monusco.
« Cependant, dans sa résolution 2666(2022) du 20 décembre 2022, le Conseil de sécurité n’a tenu compte ni des préoccupations et propositions du Gouvernement de la RDC ni des conseils judicieux du Secrétaire Général. Il a renouvelé le mandat de la Monusco sans aucun ajustement, comme si de rien n’était. A l’évidence, cette attitude figée du Conseil de sécurité, fermant les yeux sur les réalités du terrain, faisant fi des revendications légitimes des Congolais et rechignant de requalifier le statut de la Monusco, n’a pas donné à la dynamique de la paix à l’Est de la RDC une impulsion nouvelle. Bien au contraire, comme on pouvait s’y attendre, l’hostilité de la population contre la Monusco au Nord-Kivu s’est accrue, plaçant son personnel dans la psychose de l’insécurité et provoquant les incidents violents du 30 août dernier à Goma avec la mort de 42 Congolais, après ceux de juin-juillet 2022 à Goma, Béni, Butembo et Kasindi au cours desquels 30 Congolais et 5 casques bleus ont perdu la vie », a expliqué Lutundula qui a toutefois réitéré la détermination du gouvernement congolais de ne pas rompre avec l’ONU ni avec les autres partenaires bilatéraux et multilatéraux désireux d’appuyer les efforts internes.
Au-delà du nom de l’opération, aucune information n’a été donnée sur ses modalités ni sur les moyens alloués à Spingbok pour agir. Néanmoins, la Monusco a indiqué qu’il s’agit dans un premier temps d’une approche défensive qui pourrait changer à tout moment alors que d’intenses combats se poursuivent dans le parc national des Virunga à une vingtaine de kilomètres de Goma.