Il était écrit que dans ce pays, le mois de janvier n’aurait de rival que celui de juin, du jour sacré de l’immortel serment de notre liberté. C’est durant ce mois que la nation congolaise a connu ses plus grandes hécatombes, perdant tour à tour deux de ses héros, des martyrs qui paieront le prix fort d’une indépendance farouchement arrachée aux Belges. C’est durant ce même mois que l’histoire s’écrit depuis 2006 avec un apprentissage difficile de la démocratie. Aussi, après avoir tenté le chemin de la dictature, le Congo, au contrario de toute la région de l’Afrique centrale et des Grands Lacs, choisit la démocratie comme modèle de vie et de gouvernance ; le mois de janvier comme celui de la prestation de serment, d’entrée en fonction du nouveau président, à l’issue des élections prévues à chaque fois en décembre.
La fin d’une longue hémorragie démocratique
En 2007, Joseph Kabila recevait alors difficilement l’engouement d’une nation dont une large partie lui contestait sa victoire électorale acquise non sans saccager la ville-capitale, poursuivant Jean-Pierre Bemba qui prenait la poudre d’escampette depuis l’ambassade d’Afrique du Sud à Kinshasa vers un long exil européen. La prestation de serment couvrira à peine la mémoire des dizaines de Kinois fauchés par les échanges de coups de feu en plein boulevard du 30 Juin. Aussi, le monde entier, prudent, n’enverra que timidement ses félicitations au premier président élu démocratiquement de la RDC depuis tant de décennies.
S’en suivra alors une descente aux enfers. Joseph Kabila, entouré d’une famille politique héritière du mobutisme, va se mettre à manger ses propres enfants, les acquis démocratiques arrachés au prix de sang à Jean-Pierre Bemba. Bien avant d’affronter Étienne Tshisekedi en 2011, l’ancien président prendra la peine de vider le processus électoral de tout son sens, changeant les règles du jeu à son avantage, supprimant notamment le deuxième tour électoral par peur de devoir affronter des opposants réunis : Vital Kamerhe venait de claquer la porte de sa majorité et aurait alors rejoint Léon Kengo pour faire alliance aux côtés d’Étienne Tshisekedi et lui ravir ainsi son fauteuil de président ! Résultat des courses : le président prête serment en janvier 2012 seul, le monde ayant refusé de cautionner sa victoire, et il n’aura que son paternel Mugabe pour le légitimer à l’international. Au pays, la rue grondera et ne reculera que face aux « Bana mura », déployés alors pour mater toute une population en furie ! Kinshasa mange sa démocratie si fragile. Ngoy Mulunda s’échange des maux avec Étienne Tshisekedi, assurant alors le point culminant d’un recul démocratique qui aura son point d’orgue avec la prestation de serment du vieil opposant face à ses partisans à Limete.
Les choses n’iront pas en s’améliorant. Au contraire. Les prochaines élections n’arriveront pas lieu sans que Rossy Mukendi et Luc Nkulula ne donnent leurs vies en sacrifice, malgré eux. Le 19 septembre 2016, Kinshasa voit les mêmes « Bana mura » envahir ses rues en tirant à bout portant sur ceux qui réclamaient des élections. Au moins cinquante Congolais y laisseront chèrement leurs vies. Kabila lui, taiseux, s’enferme autour d’une famille politique qui montre des signaux inquiétants, décidée visiblement à en finir avec la démocratisation dont son leader était pourtant mère porteuse.
Il faudra attendre deux ans, dans un chaos total pour voir alors les élections se tenir. Non sans traumatiser Congolais et ceux de la communauté internationale. Lorsqu’il fut élu, Félix Tshisekedi couvre à peine l’hémorragie kabiliste autour du processus démocratique en RDC. Aussi, au Palais de la Nation, le 24 janvier 2019, après tant d’années de régression, beaucoup se mettent à rêver du changement. De la résurrection d’une fierté congolaise à jamais ensevelie sous terre. Félix Tshisekedi prêtera serment que face à Joseph Kabila et ses partisans. Kenyatta sera parmi les rares visiteurs internationaux. Le Congo n’aura alors jamais atteint le fond. Pourtant, le même Congo, d’une résilience des anges, venait de connaître la toute première alternance démocratique à sa tête.
The Congo is really back
Oui ! The Congo is really back! Et il n’y aura que le commentateur de sa télévision nationale pour gâcher l’apothéose. Néanmoins, l’histoire retiendra que le 20 janvier 2024, ce pays a restauré plus que jamais sa fierté et fixe désormais cap vers sa restauration totale en tant qu’État. Au Stade des martyrs de la pentecôte, nommé en mémoire de Jérôme Anany, Emmanuel Bamba, Alexandre Mahamba et Évariste Kimba, réunit toutes les couches de la société congolaises à Kinshasa, le Congo entier scotché à la télévision nationale, une rare fois au rendez-vous, pour contempler une résurrection : un stade remplit comme jamais, un public en euphorie, des larmes, des chants, de la joie explose. Des visiteurs acclamés, chantés, et salués. L’Afrique au rendez-vous, une trentaine de chefs d’Etat et gouvernements également. Jamais Kinshasa n’avait tant été visitée dans sa récente histoire. Jamais la capitale congolaise n’a ta connu de communion… après sans doute les jeux de la francophonie. L’ydile entre un président et son peuple est diffusée en direct. Comme si les Congolais voulaient à tout prix dire au monde entier : nous sommes donc de retour, définivement !
Adios Le Pido, chantait Juanes, le chanteur colombien. Nous demandons ainsi au Tout-Puissant, pour les jours qui nous reposent et les nuits qui ne sont pas encore là, pour les fils de nos fils et les filles de nos filles, nous demandons à Dieu que cette Nation ne s’arrête pas d’avancer et qu’il accomplisse enfin son plus grand potentiel, devenir un véritable havre de paix au cœur même de l’Afrique. Que ce peuple ne fasse plus couler tant de sang et que le Congo se relève. Que notre âme à nous tous, Congolais, ne se repose jamais quand il s’agit de t’aimer, d’aimer ce pays ! Le plus beau au monde ! La prière du pasteur Dallo ne pourrait que s’ajouter à ceci!
Il n’en est pas grand-chose que de prêter un serment ou d’être autant adulé. Le processus électoral n’était même pas une fin en soi. Cette prouesse saluée ici symbolise seulement à quel point nous étions dans l’abime, à rêver même un prestation de serment digne de ce nom. Quand on termina la fête, nous retrouverons la réalité : celle de nos villes occupées et agressées par le Rwanda. Celle de nos mères et filles violées dans l’Est du pays et massacrées par les ADF. Nous retrouverons tous nos problèmes et rien encore n’aura été véritablement réalisé par Félix Tshisekedi pour rendre l’appareil à ce peuple qui est tant soudé derrière lui. Néanmoins, la marche vers les abimes vient de s’arrêter. Il nous appartient désormais de mettre définitivement cap vers l’autre direction et de faire river élections au développement. Ca sera la seule manière de remercier ce peuple qui n’a souvent pas tant demandé.
Litsani Choukran
Le Fonde