Dans une déclaration publiée mercredi 21 février 2024, le Dr Denis Mukwege fustige le contenu et la conclusion du protocole d’accord signé récemment entre l’Union Européenne et le Rwanda sur les minerais stratégiques.
Pour le célèbre gynécologue congolais, prix Nobel de la paix 2018, cet accord illustre « le cynisme » et le « double standard »des institutions européennes.
« Avec le protocole d’accord signé le 19 février entre l’Union Européenne (UE) et le Rwanda pour favoriser le développement de chaînes de valeur durables et résiliantes pour les matières premières, aussi appelées minerais des conflits ou de sang, l’exécutif européen atteint non seulement le paroxysme du cynisme en matière de géostratégie, mais s’illustre à nouveau dans une politique de double standard qui mine la crédibilité des institutions internationales », dénonce Denis Mukwege.
Il souligne que le lien entre l’exploitation minière illégale et le conflit qui déstabilise l’Est de la RDC depuis près de 30 ans est établi. Or, renforcer la coopération avec Kigali revient selon lui à négliger l’implication rwandaise documentée dans ces violences, qui font des millions de victimes.
« Le conflit qui perdure à l’Est de la RDC depuis presque 30 ans, qui est le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale, est principalement économique, et le lien entre l’exploitation et le commerce illégal des minerais est reconnu comme une cause profonde de la violence et de graves violations des droits humains, et l’implication du Rwanda dans la déstabilisation de la RDC, le pillage de ses ressources naturelles et minières et la commission des crimes les plus graves, notamment le recours aux violences sexuelles comme méthode de guerre et comme stratégie de terreur, est largement documenté, notamment par les Nations Unies », fait observer ce candidat à la présidentielle de décembre 2023.
Alors que la résurgence du M23, soutenu militairement par le Rwanda, aggrave encore la crise humanitaire dans le Nord-Kivu, le fondateur de Panzi juge que cet accord contredit les principes européens de paix et de droits humains.
« […] Ce partenariat stratégique avec le régime dictatorial de Kigali apparaît en totale contradiction avec le principe de cohérence et les valeurs fondamentales de l’UE, notamment la promotion de la paix et des droits humains, qui devraient être, conformément aux Traités européens, des objectifs fondamentaux dans ses relations extérieures », déplore le prix Nobel de la paix 2018.
En revanche, il exhorte l’UE à faire respecter son devoir de diligence dans les chaînes d’approvisionnement minières pour couper court au financement des groupes rebelles par l’exploitation illégale. Sans quoi,dit-il, la transition énergétique verte européenne restera « entachée du sang congolais ».
« A défaut, la transition énergétique dite verte et propre restera rouge du sang des femmes et des enfants congolais et salie par les activités criminelles des groupes armés. Nous aspirons à ce que les citoyens européens épris de paix et de justice sociale entendent cet appel et changent de cap lors des prochaines élections en juin 2024 », a-t-il souligné.
Depuis Strasbourg en 2014, le Dr Mukwege alerte sur la nécessité de cohérence entre politiques économiques et respect des droits. Il appelle les citoyens européens à faire pression pour un changement de cap de l’UE vis-à-vis du Rwanda.
« C’est dans ce contexte que nous réitérons notre appel lancé à Strasbourg en 2014 à l’occasion de la remise du Prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de pensée de veiller à assurer davantage de cohérence entre les politiques économiques et le respect des droits de l’homme, et à placer la dignité humaine au centre des préoccupations économiques et financières et exhortons les institutions et les pays européens à rendre effectif et contraignant le règlement de l’UE sur le devoir de diligence pour les chaînes d’approvisionnement des minerais, entré en vigueur en 2021 et pourtant largement détourné par des filières opaques d’approvisionnement transfrontalier entre la RDC et le Rwanda », conclut le Docteur Mukwege.
le risque d’accentuer le pillage des ressources naturelles de la RDC plane
Peu avant la réaction du Dr Mukwege, le gouvernement congolais a vivement critiqué ce protocole d’accord signé entre l’UE et le Rwanda.
Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères congolais estime que cet accord risque d’accentuer le pillage des ressources naturelles de la RDC par le voisin rwandais. Il craint qu’il ne fournisse de nouveaux moyens à Kigali pour alimenter le conflit dans l’Est congolais.
Le sous-sol congolais regorge d’importants gisements stratégiques comme le coltan, le cobalt et le lithium, longtemps exploités de manière illégale par des réseaux rwandais selon l’ONU. Kinshasa considère que l’accord UE-Rwanda favorisera davantage ce type de trafic, le sous-sol rwandais étant pauvre en minerais.
Kinshasa y voit aussi un acte « peu amical » de l’UE, au moment où la RDC fait face à une nouvelle agression rwandaise dans le Nord-Kivu. Il demande des clarifications sur cet accord qui pourrait saper les efforts de transition dans l’Est du pays.
L’ambassadeur de l’UE a réitéré le soutien de l’Union à la stabilisation de la RDC et à la transparence minière. Cependant, les critiques de Kinshasa montrent sa méfiance croissante envers ce partenariat UE-Rwanda jugé trop favorable aux intérêts de Kigali.