Dans les mémoires de Kiwanja, petite ville nichée au cœur de l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), résonnent les échos douloureux de jours sombres, des pages tragiques de l’histoire qui refusent de se tourner. En novembre 2008, cette commune paisible a été le théâtre d’un massacre effroyable, orchestré par les rebelles du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), ancêtre du mouvement M23. Près de 150 civils, parmi lesquels figuraient 14 enfants innocents, ont été froidement assassinés, une barbarie perpétrée à l’ombre indifférente des casques bleus de la MONUC, stationnés à moins d’un kilomètre de ce théâtre d’horreur.
Les plaies à peine cicatrisées, Kiwanja a de nouveau été ensanglantée en 2014, victime des exactions des miliciens Maï-Maï Nyatura. Plus de 30 vies, hommes, femmes et enfants confondus, ont été fauchées dans un déluge de violence, réplique sanglante à l’offensive gouvernementale contre ces mêmes milices. Ces événements tragiques ont non seulement déchiré des familles entières mais ont également semé une graine de terreur et de désolation au sein de la communauté, laissant une population ébranlée par la peur et le désespoir.
L’incapacité flagrante de la MONUC à prévenir le massacre de 2008 a jeté une ombre sur sa crédibilité, soulevant des interrogations quant à son rôle et son efficacité. Malgré la condamnation internationale de ces actes barbares et la condamnation de Bosco Ntaganda par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, de nombreux responsables de ces tragédies jouissent toujours d’une liberté outrancière, laissant une soif de justice inassouvie.
On opération de « Congolisation »
C’est étrangement dans cette ville, marquée par les stigmates de la violence et du deuil, que le M23 a choisi de dérouler son étrange théâtre, tentant de « congoliser » son mouvement en y intégrant de nouvelles figures, toutes issues du PPRD. Comme un mauvais sketch, cette mise en scène grotesque contraste violemment avec le passé sanglant de Kiwanja, tentant de draper d’une légitimité factice un mouvement né des cendres du CNDP, acteur principal des jours les plus sombres de la ville. Cette tentative de réécriture, loin de convaincre, rappelle plutôt l’indignité de jouer une farce là où le sol se souvient encore des pas des victimes, là où chaque pierre porte le poids d’une histoire de douleur.
Ce 28 mars à Kiwanja, petite bourgade nichée au cœur du Nord-Kivu, où la verdure luxuriante se marie à la poussière rouge des chemins, un spectacle pour le moins inusité s’est déroulé sous les yeux mi-amusés, mi-incrédules de ses habitants. Le M23, dans une tentative audacieuse de se parer des couleurs de la légitimité congolaise, a orchestré un meeting public qui aurait pu prétendre au titre de la comédie de l’année, si seulement le contexte n’avait pas été si tragiquement sérieux. Sur la place centrale de Kiwanja, transformée pour l’occasion en une scène de théâtre à ciel ouvert, les nouvelles recrues du mouvement, toutes issues du PPRD, ont fait leur entrée, telles des stars montant les marches du festival de Cannes, mais sans le glamour, sans les paillettes, et surtout, sans le sens du timing.
L’événement, qui se voulait un coup d’éclat médiatique, ressemblait davantage à une mauvaise répétition d’une pièce de théâtre du lycée où les acteurs auraient oublié la moitié de leurs répliques. Les nouveaux venus, affichant des sourires un peu trop crispés pour être sincères, ont été présentés un à un à une foule dont l’intérêt semblait osciller entre l’ennui poli et la curiosité morose. Derrière eux, une banderole mal accrochée, flottant tristement au vent, proclamait l’avènement d’une nouvelle ère pour le M23, avec autant de conviction qu’un vendeur de tapis éculé tentant de refourguer sa marchandise. Le discours, censé être le clou du spectacle, fut un enchaînement laborieux de lieux communs et de promesses aussi vagues qu’irréalisables, livré avec l’assurance d’un élève récitant une poésie mal apprise. Les applaudissements, quand ils ont finalement jailli, avaient la tiédeur d’un thé oublié sur le comptoir – polis, mais dénués de toute chaleur.
En somme, l’initiative du M23 à Kiwanja avait toutes les apparences d’une grande mise en scène, sauf que le scénario semblait avoir été écrit à la va-vite sur un coin de table. Les tentatives de « congoliser » le mouvement par l’incorporation de figures du PPRD auraient pu prêter à sourire, n’eût été la gravité de la situation dans la région. Ce triste spectacle n’aura finalement réussi qu’à mettre en lumière l’absurdité d’une situation où les acteurs semblent avoir perdu de vue la réalité du drame qui se joue, chaque jour, sur le sol du Nord-Kivu.
Litsani Choukran.