En 2019, dans les couloirs feutrés de l’hôtel Waldorf Astoria à New York, une rencontre secrète se préparait. Joseph Kabila, l’ancien président de la République démocratique du Congo, et Fatou Bensouda, la procureure en chef de la Cour pénale internationale (CPI), étaient sur le point de se croiser. Ce rendez-vous, orchestré par Yossi Cohen, alors chef du Mossad, l’agence de renseignement israélienne, n’était que le début d’une série d’événements qui allaient mettre à nu les méthodes controversées du Mossad pour influencer la justice internationale, selon une enquête de The Guardian.
Cette rencontre inattendue, aux allures de conspiration, était un moment clé dans un complot complexe visant à faire pression sur Bensouda pour qu’elle abandonne une enquête potentiellement explosive sur les crimes de guerre commis en Palestine. L’implication de Kabila, bien que surprenante, s’explique par les liens étroits qu’il entretenait avec Cohen depuis plusieurs années. En 2022, la publication israélienne TheMarker avait révélé ces voyages secrets de Cohen en RDC tout au long de 2019, approuvés par le Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahu.
La nature exacte de l’intérêt d’Israël dans cette coopération reste floue, mais il est clair que Kabila a joué un rôle crucial en facilitant les contacts entre Cohen et Bensouda. Après cette rencontre à New York, Cohen a multiplié les appels et les tentatives de rencontres avec la procureure. Selon plusieurs sources, au début, Cohen essayait de construire une relation amicale, adoptant le rôle du « gentil flic ». Cependant, le ton a rapidement changé, et Cohen a commencé à user de menaces et de manipulations.
Fatou Bensouda, une figure respectée du droit international, n’était pas facilement intimidée. Mais les tactiques de Cohen ont pris un tour inquiétant. Lors d’une des réunions, Cohen aurait montré à Bensouda des photographies clandestines de son mari prises lors d’un voyage à Londres. À une autre occasion, il aurait suggéré que sa carrière serait en danger si elle poursuivait l’enquête. Selon une source, Cohen aurait dit à Bensouda : « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous engager dans des choses qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille. »
Ces menaces voilées n’ont pas été les seules pressions exercées sur Bensouda. Le Mossad a également cherché à discréditer la procureure en s’intéressant à sa famille. Des documents compromettants concernant son mari ont été utilisés par les diplomates israéliens dans une tentative infructueuse de ternir sa réputation. Cependant, ni ces manœuvres ni les sanctions sans précédent imposées par l’administration Trump n’ont réussi à détourner Bensouda de sa mission. Un individu informé des activités de Cohen a déclaré qu’il avait utilisé des « tactiques ignobles » contre Bensouda, dans le cadre d’un effort finalement infructueux pour l’intimider et l’influencer.
En décembre 2019, Bensouda a annoncé qu’elle avait des raisons d’ouvrir une enquête criminelle complète sur les allégations de crimes de guerre en Palestine. Pourtant, avant de lancer officiellement l’enquête, elle a décidé de demander à la chambre préliminaire de la CPI de confirmer la compétence de la cour. C’est à ce moment que Cohen a intensifié ses efforts, rencontrant Bensouda à plusieurs reprises pour tenter de la dissuader.
Le comportement de Cohen a alarmé les responsables de la CPI. Une source proche de Bensouda a rapporté qu’il avait soulevé des questions sur la sécurité de sa famille d’une manière qui semblait menaçante. Malgré ces intimidations, Bensouda a tenu bon. En février 2021, la chambre préliminaire a confirmé que la CPI avait compétence sur les territoires palestiniens occupés. Le mois suivant, Bensouda a annoncé l’ouverture de l’enquête criminelle.
« En fin de compte, notre principale préoccupation doit être pour les victimes de crimes, tant palestiniennes qu’israéliennes, résultant du long cycle de violence et d’insécurité qui a causé de grandes souffrances et du désespoir de part et d’autre », a-t-elle déclaré.
Bensouda a terminé son mandat en juin 2021, laissant à son successeur le soin de poursuivre l’enquête. Ce n’est qu’après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre et la guerre qui s’ensuivit à Gaza que l’enquête de la CPI a gagné en urgence, culminant la semaine dernière avec la demande de mandats d’arrêt.
Pour Israël, cette conclusion représente l’échec des efforts du Mossad. « Le fait qu’ils aient choisi le chef du Mossad pour être le messager non officiel du Premier ministre à Bensouda visait à intimider, par définition », a déclaré une source informée de l’opération. « Cela a échoué. »
Joseph Kabila, quant à lui, reste silencieux sur son rôle dans cette affaire, mais son implication discrète a laissé une marque indélébile sur le déroulement de cette opération de pression internationale.