Depuis sa nomination en mai 2024 au poste de ministre d’État à la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba Tungunga s’est imposé comme une figure controversée du gouvernement dirigé par la Première ministre Judith Suminwa Tuluka. Cet avocat de formation, connu pour son ambition politique et ses prises de position tranchées, est aujourd’hui au cœur d’un malaise croissant au sein de l’exécutif congolais.

Initiatives controversées et tensions internes

En juillet 2024, le ministre Mutamba a lancé une initiative visant à désengorger la prison centrale de Makala en procédant à la libération de milliers de détenus. Cette mesure, bien accueillie par les organisations de défense des droits humains, a cependant été exécutée dans la précipitation, sans véritable accompagnement social ou judiciaire.

Un membre du gouvernement, s’exprimant sous anonymat à BETO.CD, dénonce une « démarche populiste visant à séduire l’opinion publique, mais qui néglige totalement les implications sécuritaires. » Les conséquences ne se sont pas fait attendre : en septembre, une tentative d’évasion massive a tourné au drame, avec la mort de plus de 120 détenus dans des circonstances chaotiques. « Ces évasions sont le symbole d’une gestion irresponsable », fustige un ministre qui considère que la réputation du gouvernement en a été durablement ternie.

Parallèlement, Constant Mutamba a affirmé avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement, une déclaration qui a suscité la perplexité et des critiques au sein même du gouvernement. Selon un proche collaborateur d’un autre ministre, « cette histoire d’empoisonnement, qu’il ne parvient pas à prouver, a davantage fragilisé sa position en alimentant des rumeurs et en créant un climat de méfiance au sein de l’équipe gouvernementale. » Ces allégations ont conduit à son évacuation en Turquie pour des soins médicaux, un épisode qui a encore accru le malaise. « Nous sommes dans un contexte où chaque sortie publique devient un spectacle, et cela nuit à la crédibilité de la fonction« , déplore un député de la majorité.

Bras de fer avec les magistrats et polémique des États généraux de la justice

Editorial publié par Litsani Choukran sur BETO.CD le 10 novembre 2024:

En août 2024, le ministre Mutamba a engagé un bras de fer avec les magistrats, notamment ceux regroupés au sein du Syndicat autonome des magistrats du Congo (SYNAMAC). Ces derniers ont dénoncé les déclarations publiques du ministre, qu’ils accusent de populisme et de ternir l’image de la magistrature. Le SYNAMAC a critiqué la tendance du ministre à faire porter aux magistrats la responsabilité exclusive des dysfonctionnements de l’administration de la justice.

Cette confrontation a culminé lors des États généraux de la justice, organisés du 6 au 16 novembre 2024. Lors de l’ouverture de ces assises, Constant Mutamba a déclaré : « Sans le soutien inlassable du chef de l’État, j’aurais déjà démissionné. » Ces propos ont été mal perçus au sein du gouvernement. Une source du cabinet de la Première ministre a confié que ces déclarations ont été jugées inappropriées et ont contribué à accroître le malaise autour du ministre.

À l’issue de ces travaux, une nouvelle polémique a éclaté lorsque les syndicats de magistrats ont accusé le ministre d’avoir présenté un rapport final ne reflétant pas les recommandations adoptées par les participants. Ce document controversé incluait notamment des propositions non validées, telles que la révision de la Constitution pour renforcer les pouvoirs du ministre sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, ainsi que des mesures perçues comme une tentative d’ingérence politique.

Les syndicats ont dénoncé une falsification orchestrée par le ministre et ont déposé une plainte contre le greffier ayant supervisé la rédaction du rapport. « Ce rapport ne reflète en rien les débats et les conclusions consensuelles obtenues durant ces États généraux », a dénoncé un porte-parole du SYNAMAC. La situation a exacerbé les tensions avec les magistrats et terni l’image des États généraux, qui auraient dû représenter une avancée significative dans la réforme du système judiciaire. Plusieurs organisations de la société civile appellent désormais à l’annulation des recommandations et à une reprise des discussions dans un cadre impartial.

Rappelé à l’ordre par la Première ministre?

Le 24 novembre, lors d’une visite à la prison de Munzenze à Goma, près de la frontière rwandaise, Constant Mutamba s’est laissé aller dans des propos qui ont provoqué un tolé du gouvernement. « Nous allons arrêter tous les complices de Kagame et lui-même, Kagame, nous allons l’arrêter », a-t-il déclaré en swahili, sous les acclamations des détenus. Il a également promis des primes et des libérations conditionnelles aux prisonniers qui dénonceraient leurs « complices présumés » liés au Rwanda.

Les propos du ministre ont immédiatement provoqué une réaction de Kigali. Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, a qualifié ces déclarations de « provocation extrême », ajoutant : « Les propos du ministre de la Justice congolais ouvrent la voie à une instabilité accrue et à des violations potentielles du droit international si des criminels sont effectivement armés et envoyés au combat. »

Toutefois, le Rwanda n’est pas le seul à être choqué. Face à cette sortie, des sources proches de la Primature confirment que Judith Suminwa Tuluka serait exacerbée par son jeune ministre. « La Première ministre l’a rappelé à l’ordre et a insisté sur l’importance de maintenir une communication diplomatique responsable et de privilégier les canaux institutionnels pour résoudre les tensions avec nos voisins« , confie un membre du cabinet. Un autre ministre critique ouvertement l’attitude de Mutamba : « Il ne peut pas utiliser sa position pour faire de la politique spectacle. Ce populisme abaisse la sacralité de son rôle et met en péril la cohérence de l’action gouvernementale.« 

Les efforts de BETO.CD pour recueillir une réaction du ministre Constant Mutamba sont restés vains.

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