Janvier 2018, la tension est à son comble en République démocratique du Congo où les Catholiques sont descendus dans les rues pour réclamer l’application de l’accord de Saint-Sylvestre signé un an plutôt, et qui prévoyait, outre le départ du président Kabila, des mesures de décrispation et un gouvernement de large union.
Le Comité Laïc de Coordination (CLC), une association née à la suite de ces revendications, accuse alors le pouvoir congolais d’avoir violé cet accord. Dos au mur, Joseph Kabila est appelé à agir ; d’autant plus que dans les rues, les manifestations sont réprimées dans le sang, faisant plusieurs victimes.
Opération décrispation
Kabila opte alors pour un dialogue, mais dans les coulisses. Il reçoit au Palais de la nation, dès début février, le Cardinal Monsengwo Pesinya, le Chef de l’Eglise catholique en RDC. Rien ne filtrera de cet entretien, ni même son existence officielle ne sera confirmée. Cependant, bien avant la rencontre, en mi-janvier, une mission très particulière commence du côté de Limete, commune du centre de Kinshasa, traditionnellement attribuée au parti d’Etienne Tshisekedi.
Un téléphone sonne, c’est celui d’un des collaborateurs de Félix Tshisekedi. Au bout du fil, un émissaire de Maître Jean Mbuyu, alors que proche conseiller du président Kabila. Il demande à parler à Félix Tshisekedi.
«Le président Félix [Tshisekedi] refuse de vous parler aussi longtemps que son père ne sera pas enterré », répond alors l’interlocuteur après quelques secondes d’attente.
C’est fut-là, le début plus ou moins d’une série d’échanges dissimulés entre le fils d’Etienne Tshisekedi et le camp du président Joseph Kabila.
Les jours passent. Les contacts se poursuivent dans les coulisses. Ce qui n’était qu’une « rhétorique » devient la base des discussions. Le pouvoir, par le biais d’émissaires qui rencontreront plusieurs fois des proches de Félix Tshisekedi durant ce mois de janvier, fait alors savoir sa volonté d’apaiser la tension. On parle dès lors d’un retour dans les accords de la Saint-Sylvestre. Concrètement, que Félix Tshisekedi endosse le poste de Premier ministre qui lui a été confié.
Plusieurs sources, dont un proche de Félix Tshisekedi qui livre l’information, attestent que du côté de l’UDPS, l’idée séduit, bien que « dangereuse ». Car dans le fond, une arrivée de Félix Tshiskedi à la Primature éloignerait le pays des élections, et donc du départ du président Kabila. Pire, pendant que les échanges s’éternisent, la nouvelle commence à devenir public. « Moïse Katumbi a fini par l’apprendre. Et a fait une énorme pression à Félix Tshisekedi pour qu’il refuse. Cela n’allait pas dans ses intérêts. Une alliance entre Kabila et Félix n’arrangerait pas sa situation », confie cette source sous le sceau de l’anonymat.
Funérailles contre Primature
Entre temps, les négociations se poursuivent. Félix Tshisekedi fait demander un « signal » du côté du pouvoir, qui lui promet alors un « accord public sur les funérailles d’Etienne Tshiskedi ». Pour donner du poids à ce discussions, le président Joseph Kabila nomme, le 15 février, Maître Jean Mbuyu au poste de Conseiller spécial en matière de Sécurité. Il est ainsi fortifié, y compris sa mission de ramener Félix Tshisekedi dans des discussions formelles. Cependant, Kabila veut voir plus loin que la Primature. A en croire un proche, le président veut « réellement apaiser la situation ». Il met ainsi en place une initiative « de décrispation». En somme, des mesures pour calmer la situation avec l’opposition.
La dernière marche du 25 février qui fera des morts viendra ainsi servir d’avertissement au pouvoir. « On ne pouvait plus continuer ainsi. Il fallait faire quelque chose », confie ce proche sous le sceau d’anonymat toujours. Le 20 février, profitant « d’un écart », Joseph Kabila vire Emmanuel Shadary et fait entrer au gouvernement Henri Mova Sakanyi. L’idée étant, avec le tendem Mova-Mbuyu, de former une team « décrispation ».
L’avocat Mbuyu continue ainsi sa mêlée du côté de Félix Tshisekedi, pendant que Mova va voir Joseph Olenghankoy pour apaiser « les moins menaçant. » L’UDPS de Limete se retrouve tout à coup dans la liste des partis autorisés à foncitonner officiellement, en défaveur même de Bruno Tshibala. Olivier Kamitatu et consorts retrouvent leurs partis.
Bruno Tshibala justement, le Premier ministre jadis issu des accords n’est plus en odeur de sainteté. Il est à la base même d’une des violations de l’accord. Et sa megestion, y compris des couacs à la Primature, n’arrangent pas les choses. Il faut donc le remplacer. Les regards sont tournés vers Félix Tshisekedi. Mais Félix est le fils de son père. A Limete, les hésitations et les contre-pieds sont doctrines. D’autant plus que le fils Tshisekedi doit faire face à un Moïse Katumbi qui ne cesse de faire pression sur lui.
Dès mars cependant, les choses changent. Des soupçons s’installent entre Katumbi et Tshsekedi fils. Le premier part en Afrique du sud où il crée sa propre coalition, alors que le second commence sérieusement à envisager la Primature proposée par Kabila. Cependant, même si la tentation est forte, reste néanmoins la manière d’y parvenir. Ça tombe bien, le Pouvoir y a pensé. Ainsi, des tractations en coulisses aboutissent d’abord à laisser faire une élection de Félix Tshisekedi à la tête de son parti, malgré les tentatives de pro Tshibala à bloquer cette ascension qui leur sera fatale.
Un accord pour négocier
Par la suite, on arrive à ce samedi 21 avril : la signature d’un communiqué conjoint annonçant une reprise des négociations pour les funérailles d’Etienne Tshisekedi. Entre-temps, Félix Tshisekedi a pris soin de rappeler publiquement qu’il tient à l’application « effective et intégrale » de l’accord de la Saint-Sylvestre. En d’autres termes, faire de lui Premier ministre, car désigné non seulement dans la dernière lettre laissée aux évêques par son paternel, mais également par la plateforme Rassemblement qu’il dirige toujours.
Au Kin Plaza Arjaan by Rotana à Kinshasa, l’accord signé ne va pas du tout aboutir automatiquement aux funérailles de Tshisekedi. “Il faut à présent discuter des modalités. Organiser les choses pour aboutir à une situation d’apaisement total. L’UDPS avait fait des exigences autour de ses funérailles, il est temps de les prendre en compte», confie une fois de plus une source au pouvoir. Entendez par là qu’il faut revenir au début de l’affaire, où le parti de Tshisekedi avait notamment exigé qu’un Premier ministre issu de son rang soit nommé pour « accueillir » la dépouille de Tshiskeedi.
Et si Moïse Katumbi ou les catholiques en venaient à fustiger une telle entente, une solution est prévue. « L’application de l’accord dans son entièreté n’est plus un problème. Nous avons une date pour les élections, c’est le 23 décembre. Il ne reste plus que deux choses : la nomination d’un Premier ministre et les décrispations. Nous sommes prêts à discuter sincèrement sur ces deux cas », explique notre interlocuteur, qui affirme qu’outre la nomination de Félix Tshiskedi, toutes les mesures, y compris les cas emblématiques — dont Moïse Kautumbi— devraient trouver solution.
« Nous ne sommes pas opposés à une relaxation des prisonniers, ou au retour des opposants. Mais s’il faut appliquer l’accord, cela doit être fait de manière intégrale comme le réclame Félix Tshisekedi », ajoute-t-il.
Moïse Katumbi a cependant rappelé qu’il n’est pas preneur de la Primature, enjoignant Félix Tshisekedi de ne pas « traverser ». « Celui qui va traverser, il faut l’appeler Jusas », a—t-il dit.
Joint par POLITICO.CD, Augustin Kabuya reste évasif. Pour lui, la question des funérailles de Tshisekedi ne doit pas « tourner autour de personnes », affirmant cependant que l’UDPS n’a pas changé de position au sujet de ses exigences d’un gouvernement « légitime » avant d’enterrer Tshisekedi. « Nous ne voulons plus de polémique, le plus important c’est d’enterrer le Patriarche dans la paix et l’honneur. Mais pour ce qui est de Tshibala, nous n’avons pas changé de position. Où avez-vous vu un fils qui a déserté la maison de son père avoir le droit à l’héritage« , interroge-t-il.
Sauf que si les décrispations entraînent l’abandon des poursuites en son encontre, le pouvoir ne considère par son dossier de double nationalité, qui l’écarte de la Présidentielle, comme faisant partie de l’accord politique. Une position qui augure des prochaines complications au pays, alors que le CLC des catholiques a de son côté lancé un ultimatum à Kabila et les opposants pour trouver des solutions politiques «au plus tard le 30 avri 2018 ».
Litsani Choukran (@litsanichoukran)