« Pour danser le tango, il faut être deux », disait un homme sage. Une mesure à deux ou quatre temps plutôt marqués; un vaste éventail de tempos, des styles rythmiques très différents selon les époques et les orchestres. Cette danse sociale d’un genre rioplatense, issue du Río de la Plata [entre l’Argentine et l’Uruguay], symbolise la liaison intrigante et comploteuse entamée depuis plusieurs semaines entre Joseph Kabila et l’opposant Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo.
D’abord le contexte. Depuis 17 ans, Joseph Kabila règne sur un pays grand comme un continent. Même les belges qui ont colonisé le Congo doivent agrandir leur pays pas moins de 80 fois pour égaler les 2 millions de kilomètres carrés qui découpent le cœur de l’Afrique en plusieurs morceaux. Mais Kabila a épuisé la patience de son peuple. Sans être forcément mauvais, il a surtout trop trainé au pouvoir et s’est retrouvé piégé par la Constitution qui exige son départ en décembre 2016. Sauf que le pouvoir est addictif au Congo. Telles des lignes de poudre blanche que l’on siphonne dans le bas-fonds des rues des sociétés occidentales, loger dans le Palais présidentiel à Kinshasa rend ivre ses locataires, qui en feront une question de vie et de vie. Joseph Kabila n’allait pas échapper à cette réalité : trois ans de glissements et des stratagèmes tous innovants seront mis en place.
Le temps, l’autre nom de Dieu, reste incorruptible. Ni les généraux Kanyama et Numbi, encore moins des accords alambiqués ne sauveront le pouvoir à Kinshasa. Le 30 décembre, les Congolais sont allés voter, dans l’espoir de renverser définitivement le château de cartes du fils de Laurent-Désiré Kabila. La pluie, une commission électorale déterminée à faire gagner Kabila, des institutions inféodées, une logistique à géométrie variable, rien n’arrêtera ce peuple décidé. Sauf bien sûr, une séance suffocante de tango : un énième stratagème de Kabila pour échapper une fois de plus à la sentence populaire.
A Kinshasa, pendant que la Commission électorale dénombrait des millions de voix contre Kabila, ce dernier, conscient de sa fin déclarée, entame sa danse. Debout, triste, sensuel, sexy, violent et calme. Joseph Kabila braque son regard vers Limete, terne commune au centre de Kinshasa. Un homme seul allait lui donner la réplique. C’est le fils d’un héros national. Un homme qui l’a combattu, au point d’en payer le prix, bloqué depuis deux ans dans un frigo à Bruxelles. Son fils, pas très concerné par la rancœur, allant donc être ce partenaire idéal à danser avec Kabila.
Le fait est que le candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary, a brillement perdu cette Présidentielle. Deux seuls soupirants peuvent l’emporter. Mais Martin Fayulu, autant plébiscité que Félix Tshisekedi, ne peut pas être le gagnant d’une élection dont les résultats seront finalement négociés à la barbe d’un peuple qui s’en fiche. — Les deux gagnants sont des opposants. — Lui, Fayulu, est soutenu par Moïse Katumbi, un homme que Joseph Kabila ne veut plus sentir. Les deux ayant composé dans une autre vie, dans un autre tango qui a mal tourné, sont aujourd’hui la parfaite incarnation du duel Tom et Jerry en RDC.
Kabila saute sur Tshisekedi-fils. Le Tango étant une question de route, pas de destination, le Chef de l’Etat sortant choisi donc de danser avec le moindre mal. De toute façon, dit-on au pouvoir, Tshisekedi sera bâillonné. Il ne pourrait, selon le plan, rien faire. Cloisonné entre des forces de sécurité inchangées et une majorité parlementaire insolemment obtenue à la suite de combines à faire frissonner même le maréchal Mobutu.
Mais voilà. Croire à une naïveté des Tshisekedi est en soi une candeur fatale. La danse avec Tshilombo n’est pas sans risque. D’ores et déjà, le fils de Tshisekedi prouve sa malice. Il s’adoucie, professe son nouvel attrait pour Kabila, veut en faire un héros, à qui la nation doit rendre hommage. Les ennemis de Kabila deviennent ses ennemis. Les évêques catholiques, Moïse Katumbi, Martin Fayulu auront désormais affaire à lui. Toutefois, même en tenant sensuellement les deux mains de Kabila dans cette danse idyllique, Tshilombo n’est pas certain d’avoir son Graal. La Cour Constitutionnelle gesticule encore. Des requêtes sont en cours. De plus, nul n’a affronté Kabila sans y perdre des plumes ou être pris au dépourvu à la dernière minute. Vital Kamerhe en sait quelque chose. Dès lors, Tshilombo entretient donc une docilité apparente, au risque de reprendre la main une fois au pouvoir.
Le Tango se danse débout. L’impérium est sacré au Congo. Kabila qui prévoit d’aller se reposer à Kingakati risque de découvrir l’étendue de ses pertes dans les prochains jours. Tshilombo n’ayant jamais été entrainé par un autre sans être « envouté », pourrait, une fois au pouvoir, se retourner contre son faiseur de roi de Kabila. De toute façon, ce dernier ne pourra concrètement rien faire. Il sera obligé de continuer le Tango, entre une impuissante menace militaire, ou celle issue du Parlement qui ne pourront réellement rien. Les Tshisekedi sont réputés pour leur versatilité, Kabila finira du Tango au Ndombolo dans les prochains jours. A moins que le Congo décide d’inventer une autre danse politique.
Litsani Choukran,
Le Fondé.