Bruxelles, 2008. La Belgolaise, « la seule banque européenne totalement dédiée à l’Afrique », filiale à 100% de la banque française Fortis, a été radiée, ses dirigeants interdits de tout métier dans le secteur de la banque, accusés par la CTIF, la Cellule belge de traitement d’informations financières saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU et par le juge d’instruction Michel Claise, de participation à des opérations de blanchiment d’argent à des fins d’achats d’armes et d’enrichissement des dirigeants en lien avec le Congo en payant plusieurs millions de $ en cash.
Kinshasa, 2020. Un ancien de la Belgolaise à la tête de la première banque commerciale du Congo, Rawbank, propriété de cinq frères issus d’une communauté indo-pakistanaise musulmane arrivée au Congo depuis plusieurs générations, a été mis aux arrêts et est poursuivi par le procureur général Adler Kisula Betika Yeye dans une vaste opération anti-corruption pour des décaissements de plusieurs millions de $ en cash dont la raison supposée est le blanchiment et l’enrichissement des individus.
Quel lien entre ces deux affaires ? Voyage au coeur d’un feuilleton
A un moment de son histoire, sans s’y attendre le moins, le Congo reçut sur son territoire trois types d’hommes blancs. Ceux venus avec l’explorateur Diégo Cao furent les premiers à fouler son sol dès le XVe siècle. Ce furent des Portugais, des compatriotes de l’explorateur. Depuis la côte Atlantique d’où ils débarquaient des flottilles, ils se lançaient à la capture des Noirs. Ce fut le début de la traite négrière au Congo. Transformés en esclaves, embarqués sur des navires, ils étaient déportés par millions vers des plantations américaines de la côte sud où ils servaient de main d’œuvre bon marché. Sur cette côte ouest du Continent, le Congo constituait une mine d’esclaves. De ce trafic, le pays fut celui qui en pâtit le plus…
Recherchés jusque sur les terres de l’arrière-pays, ramenés à la côte, les captifs arrivaient les mains liées, le carcan au cou, le nom du trafiquant gravé dans la chaîne. Ces hommes et ces femmes étaient les plus agiles de cette côte. Sur les marchés d’esclaves, ils étaient les mieux cotés.
Le marin portugais ne venait pas seul.
Pantalon de tissu coton kaki couleur blanche, salacot fait de liège et de tissus avec ruban noir sur la tête, le colon blanc se faisait accompagner d’un prêtre qui avait mission de répandre la religion catholique sous les tropiques pour faire passer l’une des pires campagnes de traite des Noirs de l’histoire du monde.
Mais les Portugais étaient aussi d’excellents commerçants. Partout où ils passaient, ils créaient des factoreries. Ces hommes furent rejoints plus tard par des Néerlandais, des Anglais, des Français, etc., et, à la fin du XIXe siècle, par des Belges agrippés à des prêtres capucins.
Des hommes d’origines et d’intérêts divers qui allaient bientôt s’affronter. Unis dans la défense du Christianisme considéré comme source de puissance pour contrer le pouvoir coutumier et le mépris de l’Islam dont de riches musulmans se lançaient dans des razzias à l’Est pour se procurer de l’ivoire et des esclaves, ces Européens détruisaient les religions africaines.
Simon Kimbangu et ses affidés qui prêchent ce qui deviendra plus tard l’Eglise de Jésus Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon Kimbangu, furent relégués aux confins du Katanga. Ils y trouveront la mort… Mais le but de ces colons était ailleurs : la conquête et la domination des riches terres d’Afrique.
Après le déclin du Portugal replié en Angola, le retrait des Anglais apeurés par les médias des îles évoquant des soupçons de génocide quand les idées de 1789 prenaient de plus en plus place dans l’opinion publique conduisant à l’abolition de ce commerce, les Belges restent les maîtres du jeu.
En février 1885, à la Conférence de Berlin, Bismarck cède le Congo au roi des Belges qui en fait sa propriété privée mais le règne de ce monarque monte en flèche les horreurs. En 1888, survient le pneumatique gonflable moderne Dunlop inventé par l’Ecossais John Boyd Dunlop et la tragédie du « caoutchouc rouge » que décrit le journaliste américain Adam Hochschild dans son livre King Leopold’s Ghost (traduction française « les Fantômes du roi Léopold II, un holocauste oublié ») parut début octobre 1998.
Si, pour Adam Hochschild, ce roi est un « croque-mitaine, le génie du mal dirigeant la mise à sac de l’Etat indépendant du Congo depuis le lit de sa maîtresse », écrit le Belge Etienne Van De Walle, ce roi est, pour les Belges de sa « génération, « le grand roi » dont les statues peuplent les rues de Bruxelles ».
On pourrait dire autant de Thierry Taeymans, l’un des fervents admirateurs d’un roi dont les crimes font l’objet du film de l’acteur et réalisateur hollywoodien Ben Affleck tiré du livre de son compatriote Hochschild. Exécutions punitives, mutilations, villages entiers brûlés, etc., que de livres et de films sur ces cruautés.
L’un d’eux « Le roi blanc, le caoutchouc rouge et la mort noire », un documentaire anglais diffusé en 2004 sur une chaîne de télévision belge, « atterre » le Belge flamand Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères sans qu’une parole officielle belge à l’endroit du Congo n’ait été jamais prononcée.
Retourné en Belgique après un court passage à Kinshasa à l’ex-Banque Commerciale du Zaïre débaptisée BCDC, Thierry Taeymans appartient à la droite belge. Il habite un modeste immeuble de la commune francophone libérale de Waterloo.
Soixante ans après son indépendance, la porte d’entrée du Congo en Europe reste la Belgique. Chef du Gouvernement belge, Leonard Clemence Tindemans décrit le rapport du « Plat Pays » du chanteur Jacques Brel avec son ancienne colonie en ces termes : « La Belgique est la lucarne par laquelle le monde observe le Congo ». Une manière pour ce Flamand de droite de faire valoir la parole belge sur le Congo. Comme sous le Zaïre de Mobutu, la Belgique passe pour le Congo comme son commercial terrain, un VRP.
En 2001, une rencontre de Taeymans à Bruxelles avec un membre d’une fratrie indo-pakistanaise musulmane installée au Congo depuis plusieurs générations scelle un moment d’histoire qui permet à ce Belge de faire le voyage retour dans l’ex-colonie et de se hisser à la tête d’une banque dont il place l’enseigne, en moins de deux décennies, grâce à un business model bien particulier et à ses amitiés politiques, au fronton de la banque congolaise.
Portée en 2002 sur les fonts baptismaux, plus de dix ans plus tard, en 2016, Rawbank s’installe à la première marche de la banque commerciale au Congo. Elle se vante d’être « la première et la seule banque du Congo » à passer le cap du milliard de $, soit un total bilantaire de 1,2 milliard de $. Outre des chiffres astronomiques pour une banque œuvrant dans un pays aussi peu bancarisé : 781 millions de $ de dépôts ; 451,4 millions de $ de crédits ; 65,2 millions de $ de produit net bancaire ; 95,6 millions de $ de fonds propres ; 5,2 millions de $ de résultat net.
Comment cette banque a opéré pour réaliser ces résultats ?
Qu’importe ! Rawbank nourrit le rêve de quitter les frontières congolaises pour se hisser en une banque panafricaine en même temps de construire la première bourse des valeurs du pays. Si dans les milieux de la finance et des affaires, cette position fait du Belge un homme incontournable, elle finit par le perdre.
2 commentaires
C’est quand-même assez triste que des personnes interdites d’opéré dans le secteur financiers,sont blanchis et travaillent sans être inquiétés dans ce pays qui est la RDC.
Merci pour ce récit passionnant. J’aimerais vivement lire la suite.