La crise politique qui s’est déclenchée en République Centrafricaine en marge des élections de décembre 2020, a entrainé avec elle un certain nombre de conséquences. Parmi celles-ci, on note un afflux des citoyens centrafricains qui ont traversé la rivière Ubangi pour se réfugier en RDC, précisément à Yakoma, un territoire de la province du Nord-Ubangi situé à 1929 kilomètres de Mbandaka (province de l’Equateur). Selon Simplice KPANDJI, le chef de bureau du HCR à Yakoma, « c’est le niveau 2 de l’urgence car la crise est assez critique ». Depuis leur arrivée ces réfugiés se trouvaient non loin de la frontière entre la RCA et la RDC. A en croire Issa MAMOUDOU, Administrateur de terrain/HCR Yakoma, les réfugiés vivent un peu partout, dans toute la ville. « Nous avons c’est vrai des principaux quartiers qui constituent les poches principales. Nous avons le quartier NDAYO, NGAZAMBA. Nous avons également Yakoma-Centre […] Lorsqu’ils étaient arrivés ici la plupart étaient accueillis dans des familles d’accueil ». Il sied de noter que Yakoma est située à la frontière entre la RDC et la République Centrafricaine. Selon les principes humanitaires renseigne Simplice KPANDJI, le chef de bureau du HCR à Yakoma, pour des « raisons de sécurité et de protection, les réfugiés ne peuvent pas rester tout près de la frontière ». Ils doivent être à une distance de 40 à 50 kilomètres de la frontière a-t-il expliqué. C’est ainsi que ces citoyens centrafricains qui ont trouvé refuge en RDC doivent être délocalisés. En collaboration avec les autorités congolaises, c’est le village de MODALE, situé à 35 kilomètres qui a été choisi pour les délocaliser. A MODALE, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et ses partenaires ont érigé un site des réfugiés et non un camp des réfugiés comme c’était le cas il y a quelques temps. Selon Simplice KPANDJI, chef de bureau du HCR à Yakoma son organisation a abandonné l’approche camp des refugiés parce qu’un « camp c’est un enclos, c’est fermé. N’importe qui n’y entre pas ni ne sort. Il y a la limitation des libertés ». Dans l’approche du camp, les infrastructures érigées à l’intérieur notamment les écoles, les centres de santé, etc ne profitent qu’aux réfugiés ce qui met en mal la coexistence pacifique avec la population hôte. C’est ainsi que pour cette fois on a privilégié le site. Un site des réfugiés est ouvert et les infrastructures qu’on y installe, les réfugiés et les populations autochtones en bénéficient.
Screening à la « Maison Blanche »
A la veille du départ de chaque convoi des réfugiés pour leur relocalisation, on procède au screening qui est l’étape de vérification en vue de l’établissement de la composition familiale sur base de laquelle des cartes d’embarquement sont délivrées aux réfugiés candidats à la relocalisation qui est volontaire. A la veille du screening, il y a des activités de mobilisation communautaire qui sont menées à travers les relais et les radios communautaires de la ville. Tous les candidats volontaires à la relocalisation à Modale on leur dit de venir le jour d’après à la « Maison Blanche » pour se faire enregistrer. Il ne s’agit pas ici de la Maison Blanche de Washington où reste le Président des Etats-Unis d’Amérique durant son mandat. La « Maison Blanche » dont on parle à Yakoma est une grande bâtisse appartenant à un ancien dignitaire du régime du feu Marechal Mobutu. Elle est située au bord de la rivière Uélé qui va se jeter un peu plus loin dans l’Ubangi. A l’autre rive c’est la localité centrafricaine de Bema où la population de Yakoma va s’approvisionner par la pirogue en biens de première nécessité.
Revenons au screening. Pour l’organiser à la « Maison Blanche », le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés loue chez cet ancien mobutiste quand bien même la bâtisse a perdu de son éclat et n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Covid oblige avant de franchir le seuil de la « Maison Blanche » c’est le lavage des mains et le contrôle de la température. Si tout est bon, on peut alors suivre le circuit. La première vérification c’est l’attestation de réfugié qui montre que la personne l’est réellement. En même temps on vérifie si tous les membres de la famille sont présents et sont tous enregistrés. S’ils ne le sont pas on le fait séance tenante. Après cela, c’est la table des besoins spécifiques où on cherche à savoir quelles sont les personnes qui ont des vulnérabilités. A cette étape ici les vérificateurs regardent s’il n’y a pas des enfants à risque d’apatridie. Ce sont les enfants qui sont nés sur le territoire congolais. Il faut les identifier et en accord avec la Commission Nationale des Réfugiés (CNR) et l’Etat Civil leur délivrer des actes de naissance.
L’étape suivante c’est le screening médical où l’on vérifie l’état de santé. Ici, il est question de se rassurer que la santé du réfugié peut lui permettre de voyager. Si la personne est malade on lui administre les premiers soins. S’il faut l’acheminer à l’Hôpital Général de Référence les dispositions sont prises à ce niveau.
L’étape suivante c’est l’enregistrement où on fait toutes les actions de biométrie. Ensuite, on délivre le billet de composition familiale qui détermine le nombre des membres de cette famille.
Après ça, on arrive au niveau de la délivrance de la carte d’embarcation qui va servir de billet de transport le lendemain vers le site de MODALE.
A la sortie, le partenaire logistique AIRD demande à ceux qui ont des colis de les amener pour les emballer. Ici on donne un ticket sur lequel est mentionné le numéro du colis pour leur permettre d’accéder facilement à leurs bagages à l’arrivée.
Vingt-huitième convois des réfugiés relocalisés
Vendredi 13 août 2021, aux premières heures du matin, les réfugiés enregistrés la veille se présentent au centre de transit dit « Maison Blanche». C’est par appel nominal qu’ils embarquent dans le camion apprêté pour cette relocalisation. Une relocalisation qui reste volontaire. Tellement que la carrosserie est très élevée, un escalier permet aux réfugiés de monter et de prendre place à bord. Des mousses sont installés à l’intérieur pour amortir le choc lors du parcours tellement que la route est délabrée. Une fois que tout le monde a pris place, le convoi peut partir enfin. Il est 9h25 lorsque le convoi quitte la « Maison Blanche ». Le camion qui transporte les réfugiés est le troisième véhicule dans ce convoi qui en compte au total cinq. Et ce sont les policiers qui ouvrent la marche à bord d’un véhicule tout terrain.
Le cortège roulait tranquille jusqu’au pont LWE, situé à 7 kilomètres du site quand l’administrateur terrain du HCR/YAKOMA annonce une pause sanitaire. La pause sanitaire terminée, le camion ne peut plus continuer le trajet à cause du niveau très élevé de l’eau sur la rivière qui est juste devant. Il faut alors placer les réfugiés dans les autres véhicules du convoi. Heureusement pour les humanitaires, il n’y a pas eu une forte mobilisation des réfugiés pour cette fois-ci. Ils sont à peine 11 familles soit 27 personnes. C’est le plus petit convoi depuis le début de cette opération le 17 avril 2021. A noter que le HCR et ses partenaires organisent deux convois par semaine, le mardi et le vendredi. Depuis que la relocalisation a commencé, chaque convoi transporte en moyenne une centaine des réfugiés. Selon Issa MAMOUDOU, Administrateur de terrain/HCR YAKOMA, « au niveau de Yakoma, plus de 60% des réfugiés ont été relocalisés sur le site de MODALE […] C’est vraiment une grande prouesse surtout quand on sait tous les défis qu’il y a dans cette zone. Les défis logistiques mais également les défis liés à l’état de la route. Nous sommes également dans la saison pluvieuse où souvent la pluie peut arriver à tout moment et ralentir certaines activités».
C’est deux heures après le départ que le convoi arrive finalement au site de MODALE sous une pluie fine. Un comité restreint d’accueil est positionné à l’entrée du site pour accueillir les nouveaux venus. Ils dansent et chantent en sango, une langue de chez eux pour solliciter la bienvenue à leurs frères et sœurs. Après le lavage des mains sur fond de cette douce mélodie, les réfugiés entrent dans la tente d’accueil par appel nominal. Là-dedans, ce sont les dernières consignes avant leur installation. Neville MUTOMBO, Assistant au Comité National des Réfugiés (CNR) leur a souhaité la bienvenue à Modale au nom du gouvernement congolais et leur a demandé de se sentir à l’aise. Tout de suite après ces mots gentils c’est un avertissement qu’il leur lance: « Ici dans le site de Modale nous ne sommes venus pour faire la politique. Lorsqu’on veut faire la politique on va faire en dehors du site […] Nous voulons vous demander de respecter la loi congolaise. Lorsqu’on est réfugié cela ne veut pas dire qu’on est immunisé devant la loi. Vous ne pouvez pas vous permettre d’aller faire n’importe quoi au nom du réfugié. Lorsque vous allez enfreindre la loi sachez que vous serez arrêté ». Comme si nous étions à l’école, Neville demande à ses interlocuteurs par deux fois « nous nous sommes entendus ? ». Ils lui ont répondu par l’affirmatif.
« Ceux qui nous ont accueilli ne sont pas nos ennemis. Ils ont accepté de nous donner la place et nous devons vivre avec eux ». C’est ce que leur a dit Judicaël KANZI mégaphone à la main. Cet assistant à AIDES (Action et Intervention pour le Développement et Encadrement Social) les a brièvement sensibilisés pour une coexistence pacifique avec la population autochtone.
Trêve de bavardage, chaque famille devait ensuite recevoir son kit d’installation avant son premier repas chaud préparé dans la cuisine installée juste à l’entrée du site. La composition du kit dépend de la taille. On y trouve les bâches, moustiquaires, jerricanes, lampe solaire. Les articles ménagers essentiels ont été reçus depuis Yakoma avant même la relocalisation.
Avant l’arrivée du 28e convoi composé de 27 personnes, le site de Modale avait déjà accueilli 4013 réfugiés, ce qui fait un total de 4040 réfugiés à ce stade.
A noter que Yakoma et ses environs ont accueilli au moins 13 000 réfugiés venus de la Centrafrique. Mais le site de MODALE est construit pour en accueillir 10 000 relocalisés car la relocalisation reste volontaire.
Ces réfugiés relocalisés bénéficient de tous les dispositifs de l’eau, hygiène et assainissement assuré par ACTED. Des latrines sont installées au bord du site. Pour l’instant trois points d’eau fonctionnent et les réfugiés s’approvisionnent suivant un horaire bien déterminé soit deux fois la journée, le matin et l’après-midi. Mais sur les forages c’est 24h/24.
Soins de santé
Parmi les infrastructures aménagées pour accueillir la communauté réfugiée il y a notamment le centre de santé. Il est situé à un kilomètre du site de Modale. L’ancien centre de santé qui existait à cet endroit a été démoli. Un nouveau centre de santé sort de terre. En attendant qu’il soit fini, un hôpital construit avec les bois couvert des bâches fonctionne pour une population d’au moins 17 000 habitants. Selon Jean-Pierre KPUA, l’infirmier responsable du centre de santé Modale la prise en charge médicale dans ce centre est gratuite. Une gratuité qui n’a débuté qu’avec la présence des réfugiés dans le village.
« On ne peut pas demander un franc même ne fut-ce que pour la fiche ou bien d’autres consultations. On prend vraiment la charge globale gratuitement » dit Jean-Pierre KPUA. Il sied de noter que les gens vont se faire soigner gratuitement mais c’est le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) qui prend en charge et la mise en œuvre est assurée par AIDES (Action et Intervention pour le Développement et Encadrement Social). Comme dans toute formation médicale, il arrive qu’il y ait des complications lors de la prise en charge d’un cas ou un autre. « Et s’il y a un cas qui nous dépasse ici on fait la référence vers l’Hôpital Général de Référence de Wasolo » explique Jean-Pierre KPUA, l’infirmier responsable du centre de santé Modale. Cet Hôpital Général de Référence de Wasolo est à 25 kilomètres du centre de santé de Modale. C’est à ce niveau que la tâche devient plus rude. « On n’a même pas un moyen de transport pour nous aider à évacuer d’autres malades s’il y a besoin. C’est très grave […] on attend ou bien quand on sait que c’est le matin, on attend on prie Dieu ou le camion peut venir de Yakoma pour ramener notre malade à Wasolo. S’il n’arrive pas on est en train de quémander chez les populations pour nous aider pour le transport » renchérit-il.
Ironie du sort, la population auprès de qui l’infirmier Jean-Pierre KPUA et son équipe demandent de l’aide n’a pas des véhicules. La plupart n’ont que des vélos qu’on appelle ici « Toleka » et quelques rares motos. Difficile avec ce type d’engins de transporter une femme souffrant d’un cas d’hémorragie ou d’autres cas d’urgence.
Un autre défi de taille pour ce centre de santé, l’absence des moyens de communication. Dans ce coin reculé du pays, aucun réseau téléphonique n’est opérationnel. Dans ce cas comment alerter l’Hôpital Général de Référence en cas d’urgence. « S’il y avait aussi des bords de communication on peut atteindre aussi nos partenaires même au site de Yakoma que nous avons un cas, un tel cas qui nous préoccupe. Il n’y a pas des moyens de communication, pas les moyens de transport. Nous sommes un peu bloqué » s’alarme Jean-Pierre KPUA.
Education
Une autre bâtisse qui sort de terre c’est une école primaire que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés fait construire à Modale. La mise en œuvre du volet éducation est assurée par l’Association pour le Développement Social et Sauvegarde de l’Environnement (ADSSE). Une autre école existait dans ce coin mais elle a été démolie pour laisser la place à une nouvelle plus grande pour accueillir plus d’élèves. En attendant, des salles de classe provisoires ont été érigées à l’aide des bâches et du bois. Les enfants autochtones et les enfants réfugiés fréquentent cette école. Bijou LUMANDE, Assistante sociocommunautaire ADSSE explique comment les choses se passent :
« Ça c’est l’EP UELE, une école du milieu. Le HCR a accepté de venir en appui à cette école dans la politique de réintégrer aussi les élèves réfugiés ici afin de favoriser la cohabitation pacifique entre les réfugiés et les autochtones […] Il y a encore une deuxième école qui est l’EP MODALE parce qu’ici déjà par rapport à l’effectif des enfants on avait jugé bon de ne plus inscrire les enfants ici et puis le HCR a choisi une deuxième école. C’est l’EP MODALE où tous les enfants qui sont relocalisés et qui sont en âge scolaire vont s’inscrire là-bas et c’est une école gratuite. On ne paye rien ici. Donc les réfugiés ne payent pas »
Les enfants réfugiés ont reçu en premier des kits scolaires pour leur permettre de bien étudier. Les enfants autochtones devaient aussi en avoir par la suite.
« En tout cas pour le moment par rapport aux chiffres qu’on avait c’est un chiffre destiné aux réfugiés. C’est pourquoi vous verrez que selon le protocole ce sont les réfugiés qui sont assistés que les autochtones. Mais en tout cas nous sommes dans le plaidoyer aussi pour que dans le cadre de la cohabitation pacifique qu’on puisse un peu penser aussi aux élèves autochtones pour ne pas créer des problèmes plus tard » souligne Bijou LUMANDE, Assistante sociocommunautaire ADSSE.
Etant donné l’afflux d’enfants réfugiés de nouveaux enseignants ont été recrutés. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés s’occupe de la paie de tous les enseignants pour un temps. Après ce temps, l’Etat congolais reprendra la main.
Selon Joseph KOBALE, Président des Réfugiés « la vie à MODALE se passe difficilement par rapport à la subsistance jusqu’à présent». Mais de son côté, Issa MAMOUDOU, Administrateur de terrain/HCR Yakoma se veut plutôt rassurant : « Au-delà de la sécurité ce site offre une opportunité, une opportunité aux réfugiés […] il va dans les mois à venir permettre à ces personnes-là qui dans un récent passé ont tout perdu parce que contraint de fuir la persécution et les violations des droits de l’homme ont tout abandonné, ce site va leur offrir l’opportunité de se reconstruire, l’opportunité de résilience. »