Votre situation est comparable à celle de la beauté d’un cimetière ». Ces propos sont ceux du ministre des Transports Cherubin Okende, devant des employés d’OGEFREM hébétés. Nous sommes au siège de l’OGEFREM à Kinshasa. Ceux qui suivent l’actualité congolaise en savent quelque chose. En 2020, cette société publique a fait la une des médias dans la saga autour de son directeur général, Patient Sayiba. Accusé de corruption, celui-ci est donné comme « finançant des rebelles Tanzaniens dans le but de renverser Félix Tshisekedi ». Une information évidemment fausse. Sayiba a été nommé durant le pouvoir de Joseph Kabila. L’entourage du nouveau président Félix Tshisekedi le voit alors comme une menace. Mais les ennuis judiciaires du Directeur général de l’OGEFREM à l’époque sont réels. Il est tantôt convoqué par la justice congolaise, tantôt accusé de la défier.
En septembre 2020, l’OGEFREM fait à nouveau la une des médias. Des employés de plusieurs directions à travers le pays refusent de travailler et manifestent. Ils soutiennent leur Directeur général Sayiba. Ce dernier, allant répondre finalement à une convocation de la justice, est placé en détention. Pendant quatre jours, l’affaire tient les congolais en haleine. Sayiba lui, vit une véritable aventure. Placé officiellement en détention, il passera néanmoins 4 nuits aux cachots du parquet, loin de tout respect des procédures. Il finit par être libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Libéré, il est accueilli en héros par ses employés. Le lendemain, il est reçu par le président Félix Tshisekedi qui plébiscite son travail à la tête de cette société publique en charge de la gestion du fret national à l’importation et à l’exportation en RDC.
Mais ses ennuis ne se terminent pas pour autant. Un an plus tard, un nouveau ministre arrive à la tête du secteur des Transports en RDC. Cherubin Okende suspend Patient Sayiba qu’il accuse d’insubordination. Il lui est reproché d’avoir « fait obstruction aux investigations que mènent le cabinet du ministre au sujet de son refus d’exécuter les instructions du président de la République et la décision du Conseil des ministres du 11 septembre 2020, interdisant le recrutement, le mouvement du personnel, les promotions en grades et les licenciements abusifs au sein des entreprises du portefeuille de l’État et de l’administration publique. »
C’est là que notre histoire commence véritablement, avec l’entrée en lice d’un personnage. En effet, pendant que Okende et Sayiba se querellent, lui se faufilent et prend la tête de l’OGEFREM. Jusque-là Directeur général adjoint, Olivier Manzila devient Directeur général intérimaire en juillet 2021, le temps que le cas Patient Sayiba soit statué, en principe dans les trois mois.
Une intérim qui met le feu à OGEFREM
Mais au Congo de Lumumba, un phénomène d’intérimaires bat son plein. Alors que Félix Tshisekedi, qui est arrivé au pouvoir à l’issue du premier transfert pacifique du pouvoir en RDC, divorce d’avec Joseph Kabila à la suite de tumultes entre les deux alliés, ses partisans tiennent à récupérer la direction des entreprises publiques, sachant également que ses nouveaux alliés, dont l’ancien gouverneur Moïse Katumbi, lorgnent également sur les portefeuilles les plus juteux. D’autres part, la campagne anti-corruption lancée par le nouveau chef de l’Etat, ainsi que l’arrivée du gendarme Jules Alingete, chef de l’Inspection générale des Finances (IGF) créent le phénomène d’intérimaires, ces directeurs généraux temporaires qui rêvent tantôt de se maintenir, tantôt alors de profiter au maximum de leurs nouvelles fonctions.
Olivier Manzila est l’incarnation parfaite du phénomène d’intérimaires d’enfer au Congo. Le nouveau « DG » de l’OGEFREM planifie rapidement son maintien, à en croire des témoignages et documents parvenus à POLITICO.CD. Et pour y arriver, la première étape consiste à plaire aux proches du Président. Car en RDC, c’est le Président de la République qui nomme les mandataires sur ordonnance. « Chaque semaine, le DG Manzila envoie plusieurs milliers de dollars à titre de collations à des proches du président. Ils lui promettent de le maintenir et de le confirmer comme Directeur général », rapporte une source au sein de la société qui a requis l’anonymat.
Comment trouverait-il tous ces fonds ? Là encore, à en croire des sources au ministère des Transports qui n’en reviennent pas, le DG-ai trafiquerait des listes « de collations » revenant aux agents de l’OGEFREM. « Le mécanisme est simple : il établit des listes de collations en reprenant des noms des agents qui ont effectivement droit à des paiements. Néanmoins, il fait gonfler les montants. Ce qui fait que dans la plus part de collations, seulement 20% du montant global va réellement aux agents. Le reste s’évapore », explique notre source. Des allégations prouvées à travers les documents ci-dessous.
Après les proches du président, le nouveau DG se doit par ailleurs de consolider ses positions en interne, en essayant de procéder rapidement à des nominations de ses proches, frères, cousins, belles-soeurs… à des postes clés au sein de l’OGEFREM. Dans une lettre du 10 décembre adressée au ministre des Transports Cherubin Okende, le Directeur général intérimaire sollicite en effet la « levée des mesures conservatoires » sur des nouvelles mises en place au sein de l’OGEFREM afin de procéder aux « réaménagement techniques » . « En effet, la nécessité d’insuffler une nouvelle dynamique au regard du changement intervenu à l’Office requiert des ajustements à certains postes de travail, à l’effet d’obtenir une meilleure implication de leurs animateurs », tente-t-il de justifier.
Toutefois, le ministre des Transports a déjà eu vent des aventures de Manzila. Chérubin Okende, qui avait déjà suspendu Sayiba dans une querelle autour de cette affaire de mises en place, ne donne pas une suite favorable à la demande de Manzila. « Après analyse de votre demande, le coût d’opportunité face à la situation délétère qui prévaut à l’OGEFREM, ne permet pas ce mouvement du personnel jusqu’à nouvel ordre en dépit de la recommandation du Conseil d’administration évoqué dans votre précitée », rétorque le ministre au DG intérimaire. Dans cette lettre, le ministre Okende fait en effet référence à une situation « délétère », comme pour informer le nouveau DG qu’il est bel et bien au courant de ses tours. D’autant plus qu’en interne, au sein de l’OGEFREM, des agents fustigent le nouveau « DG », qui les prendrait en chasse. « Il chamboule tout pour tout contrôler. Il place ses hommes, le plus souvent ses membres de famille, à des responsabilités, sans respecter les procédures. C’est invivable ici », explique notre source.
Un document prouve les manœuvres dénoncées ici. La fiche de « prime spéciale en faveur des membres de la commission chargée de l’élaboration, montage financier et mise en œuvre du projet de port sec de Kasumbalesa ». La copie parvenue à POLTIICO.CD renseigne que plusieurs personnes ont reçu des caisses de l’OGEFREM des montants allant de 3500 dollars à 11.250 USD. Et ce document renseignement quelques noms en particulier. En commençant par celui du Coordonnateur de la Commission qui reçoit plus de 11.250 dollars. Il s’agit de lui-même, le DG intérimaire Manzila Mutala. Ensuite, il y également Manzila Mitangwa, qui n’est autre que le grand-frère du Directeur général intérimaire, et qui touche 9.150 USD. Bayakala Kipoy, l’oncle du DG, touche également 9.150 USD. Mboko Mukabayi, la belle-sœur du DG, touche 8.950 USD. Kavula Tshibala, qui serait une nièce du DG, touche également 8.950. Il y a en outre Kingwaya Abana, qui serait cousin du DG, qui lui aussi a reçu 8.950 USD net.
Le document certifié par des sources à l’Ogefrem témoigne en outre le fait que tous ses membres de famille sont non seulement employés à l’OGEFREM, mais sont également, pour la plupart, des membres du cabinet du nouveau DG. « Non seulement que le travail réalisé est une farce, car ces personnes n’ont jamais fait partie d’une quelconque commission sur le port Sec de Kasumblesa, mais elles ont été payées sans tenir compte ni de leurs rangs, encore moins de leurs grades. Certains sont des huissiers », révèle une source à l’OGEFREM.
Manzila est de nationalité américaine
Selon les copies de deux passeports ci-haut, Olivier Manzila détient donc la double nationalité (américaine et congolaise). Ce qui est interdite par la loi en RDC. Selon les copies de deux passeports ci-haut, Olivier Manzila détient donc la double nationalité (américaine et congolaise). Ce qui est interdite par la loi en RDC.
Des proches du nouveau directeur général ont une autre version. « Les collations spéciales sont destinées pour les travaux intensifs avec impacts financiers remarquables au bénéfice de l’office et sont fixées par l’appréciation du directeur général sur proposition de la Direction de l’organisation et contrôle de gestion (DOCG) par rapport au travail rendu », expliquent-ils dans un article commandé auprès d’un média local, avant d’ajouter : « Après vérification des journalistes, renchérit la source, il ne s’agissait que d’un projet, pas d’une seule collation mais de la compilation ou accumulation des collations de 5 mois des travaux intensifs qui se terminaient à des heures tardives même le week-end. »
Les aventures de Manzila ne s’arrêtent pourtant pas là et continuent. De nos sources, le DG s’est offert un voyage en « jet privé » vers l’Angola pour « traiter des affaires », sans ordre de mission. On apprend par ailleurs que l’homme possède deux passeports avec deux identités différentes, dont un passeport américain avec lequel il se serait rendu en Angola. « Si voyager pourrait être une liberté, il a fait faire un ordre de mission antidatée à son retour et s’est fait payer ce voyage », révèle notre source.
Okende tente de stopper Manzila
Fin décembre, le ministre Cherubin Okende n’en peut plus de Manzila. Selon des sources auprès du ministère des Transports, Olivier Manzila aurait tenté de passer outre les mesures conservatoires mises en place par le ministre, interdisant des restructurations au sein de l’OGEFREM. « Sachant déjà qu’il a confié des responsabilités à ses proches, il (Manzila) a tenté de régulariser ces changements en écrivant directement au Président de la République et au Premier ministre, en sautant le Ministre. Mais cela n’a pas plu au ministre, qui a débarqué ici même au siège pour mettre les choses aux points », révèle notre source.
Le lundi 10 janvier, le siège de la tension est à son comble à au siège de l’OFEGREM, rue TSF dans la commune de la Gombe. Le ministre Cherubin Okende débarque au siège de l’OGEFREM, réunie le DG-ai, les cadres et le Conseil d’administration, leur tenant un discours choc. « J’aimerais que tout le monde fasse son travail. Je vous invite à prendre conscience de la situation désastreuse que traverse l’OGEFREM. J’aime toujours donner une allégorie par rapport à votre situation : (elle ressemble) à une beauté de cimetière. Au Cimetière lorsqu’on trouve une tombe où on a posé une pierre tombale, on se dira : les caveaux sont beaux, que c’est une belle tombe. Mais en réalité, à l’intérieur, il n’y a plus rien. C’est de la pourriture… », illustre Cherubin Okende dans un audio parvenu à la rédaction de POLITICO.CD. «J’ai convié ici le Conseil d’administration, la direction et vous tous les agents pour vous interpeller à prendre conscience de la situation désastreuse au sein de l’OGEFREM. Le ministre que je suis, je n’ai aucun intérêt à nuire à vos dirigeants. Je vous appelle juste à vous ressaisir », ajoute-t-il devant entre autres le DG-ai Manzila.
Cherubin Okende n’évoquera pas en détails les problèmes dont il fait allusion. Néanmoins, cette intervention met le nouveau Directeur général dans tous ses états. Le lendemain, à son tour, il convoque les directeurs et sous-directeurs dans la même salle de congrès au siège de l’OGEFREM pour une véritable pugilat. Le DG-ai s’attaque particulièrement à ses cadres qu’il accuse d’avoir publié la liste des primes reçues par ses membres de famille précédemment évoquées. « La liste publiée à jeter de l’opprobre sur ma modeste personne et sur l’ensemble de la Communauté de l’OGEFREM », prétend-t-il en mettant en en garde les « traitres » au sein de sa société. « Il y a un temps pour tout. Un temps pour prêcher l’amour et l’unité. Un temps pour la patience et la tolérance, mais aussi un temps pour sanctionner les anarchistes de façon exemplaire. Rappelez-vous que Satan était un ange de lumière. Mais losque celui-ci s’est rebellé en violant l’ordre établi, le Dieu d’amour l’a précipité vers les régions inférieures », menace-t-il dans un audio parvenu à POLITICO.CD.
La saga continuera. Les efforts de la rédaction pour joindre le Directeur Olivier Manzila sont restés sans suite. Le ministre des Transports également n’a pas réagi. L’OGEFREM n’est pas la seule société qui souffre de ses intérimaires qui se déchainent dans l’idée de profiter au maximum de leurs fonctions temporaires. POLITICO.CD vous donne rendez-vous pour d’autres aventures à travers ce dossier. A bientôt.