Un homme aux larges bacchantes, en uniforme de parade, qui s’écroule avec sa femme à l’arrière de sa voiture Gräf & Stift décapotable. Frappé à la poitrine par les balles tirées par un mystérieux terroriste tout de noir vêtu. Des générations entière d’écoliers connaissent cette image d’Épinal, venue de France. La leçon d’histoire aussi est connue: le dimanche 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, et sa femme, Sophia, sont assassinés à Sarajevo. Gavrilo Princip, le « terrioriste », était à peine âgé de 19 ans. Peu importe ! Les faits sont aussitôt imputés non sans raison à la Serbie par le gouvernement autrichien. Et l’assassinat de ces personnalités, quasi-inconnues dans une ville des Balkans dont l’immense majorité des Européens ignoraient jusqu’au nom, va servir de prétexte au déclenchement de ce qui deviendra la Première Guerre mondiale.
Le regretté Jean-Baptiste Kabasele Yampanya wa ba Mulanga dit « Pepe Kalle » et le talentueux Jean Dode Matolu dit « Papy Tex » s’y inspireront sans doute pour chanter : « Moto oyo allumette ekoki ko zikisa mboka mobimba », entendez par là : « la petite flamme d’allumette peut brûler tout un village ». Un peu plus tard, le monde s’embrasera plus d’une fois. Et à chacune de ces fois, des événements à peine croyables en seront le déclique. Aussi, tôt le matin du 12 juillet, alors que la nuit se retirait à peine avec son lot de fatigue, chargée par une intense activité de journaliste, aucune pensée pire n’aurait pu conduire à une telle imagination. Les images du véhicule à peine garé et dans lequel un corps ensanglanté et sans vie y était placé et abandonné ne pouvaient être crédibles. Comment y croire ? Le Fondé, qui s’efforçait de corriger la veille une sémantique du parti Ensemble pour la République sur le réseau twitter, allait tout à coup se retrouver au cœur d’une accusation de « moquerie d’un enlèvement ».
En vérité, qui aurait pu jeûner pour l’enlèvement d’un politique dans ce pays ? Le « kidnapping » annoncé par son parti ne faisait-il pas sincèrement, comme à son habitude, rire ? N’étions-nous pas habitués à tout ceci ? N’ont-ils pas pris l’habitude, ces politiques et leurs traqueurs des Services de sécurité, de jouer à ce jeu ? Comme des petits enfants qui tentent de maitriser une flamme, nous avons certes fini par nous brûler. Des événements banaux. Des gestes banalisés. Des faits graves passés sous silence, dénoncés et défendus en fonction du camp politique. Des autorités qui ont érigé l’arrestation de suspects pourtant publics et jouissant de présomption d’innocence au rang indigne de kidnapping n’ont que leur gestuels pour s’expliquer. Hébétés par la nouvelle qui fait d’eux désormais les principaux suspects.
Assassinat contre la République
Néanmoins, dans ce Congo plus rien n’a de l’honneur, où l’on préfère la comédie dans un procès de « kidnappeurs », un tel assassinat aussi crapuleux que spectaculaire donne plutôt lieu au spectacle qu’au recueillement. La dépouille est lynchée médiatiquement par des vautours en quête chacun de publicité. D’autres ne traineront pas à chercher la récupération politique. Un pouvoir perdu, qui commence alors à préparer sa défense. Un spectacle incroyable à la Cour constitutionnelle, où un juge tient lui-même son procès pour se disculper. Des experts scientifiques fusent sur les réseaux sociaux, d’autres ont déjà bouclé leurs enquêtes et ont même trouvé de coupables. Dignes de diriger le FBI ! Bref, le Congo est à la rue. Perdu, enfoncé dans l’inconscience proportionnelle à la gravité de ce qui le touche.
Pourtant autant, l’histoire pourrait nous renseigner. Si les choses restent bien différentes qu’à Sarajevo et si, ici, les assassins semblent aussi facilement connus, il y a cependant nécessité de regarder ce crime cruel avec recul et retenu. La personne assassinée ici est la plus inattendue possible, même si le crime n’est prédisposé à personne.
Toujours est-il que de par sa qualité naturelle et sa carrure d’homme d’Etat, Okende Cherubin ne fut jamais dans le camp des extrêmes ni des complotistes. Alors que son étoile brillait, il ne se fera remarquer que par son verbe digne d’un parent de Lumumba Patrice et par une victoire par K.O à l’Assemblée nationale qui cherchait son poste de ministre. Le tout, en restant fidèle à son mentor politique Moïse Katumbi, tout en montrant du respect à l’endroit du président de la République. A contrario de François-Ferdinand de Habsbourg, Cherubin Okendi ne cristallisait ni ne divisait. Son nom était à peine évoqué dans les différends politiques, enveloppé par la rivalité entre Katumbi et Tshisekedi.
Aussi, certes la tension politique grimpe entre l’opposition et le pouvoir en place depuis des mois. Cependant, en arriver à une telle situation tout la plaçant au crédit de ces tensions serait un raccourci pompeux, sans certes tenter de faire le procès, loin des éléments. Toujours est-il qu’avec du recul, cet assassinat en plein cœur de la société, pratiqué de cette manière où les commanditaires n’osent ni se cacher ni cacher leurs actes, place le Congo sur les traces de Sarajevo où une figure est spectaculairement assassinée, d’abord dans le but de choquer, ensuite dans le but de susciter des réactions imprévisibles et violentes. Et dans un pays qui voit les tensions monter soudainement, agressé jusqu’au cou par ses voisins, des tels événements ne sont pas à prendre à la légère, ni même à considérer de manière isolée.
Sans certes faire le lit complotiste. Le Congo, dans sa fragilité grandissante, est ici la principale victime, aux côtés de la Famille de Cherubin Okende. Cette nation fragile, touchée en plein cœur, de cette manière-là, risque gros. L’acte, qui n’a pas encore révélé sa vérité, peut être un catalyseur à un chaos visiblement prémédité. Aussi, au moment de chercher les coupables, de pleurer un frère vaillant et talentueux délibérément fauché, ceux de la République, ceux qui tiennent au Congo et qui œuvrent pour sa survie, devraient prendre du recul et tenter de comprendre, analyser froidement les faits, avant de prêter le flanc à toute précipitation.
Peut-être que la meute n’a pas le temps de contrôler ses émissions et de mesurer ses réactions, la classe dirigeante devrait éviter de se laisser guider par ces éléments catalyseurs du chaos. Se poser des bonnes questions, loin de toute rivalité, sans systématiquement tenter de « profiter » des événements. En tant que frères, tous enfants du Congo, frère des martyrs tombés pour consolider l’unité fragile de cette nation, nous avons tout intérêt à ce que les calamités qui nous tombent dessus ne nous divisent pas davantage et qu’elles n’exposent ni n’explosent encore plus notre Nation largement théâtre de déstabilisations et d’agressions. S’il faut passer pour un corrompu ou complice, je l’accepte. Mais je serais toujours la voix qui appellera le Congolais à la prudence. Car, oui, le Congo, qui est en ligne de mire ici, joue sa survie. Depuis des décennies d’ailleurs. Toujours au bord du gouffre, cette Nation devrait éviter de faire un pas en avant, ni par vengeance ni par colère. Car, telles deux femmes face à l’Ecclésiaste, nous sommes celle qui a le plus à perdre si jamais le petit bébé était divisé en deux.
Litsani Choukran,
Le Fondé.