L’Église et l’État, ces deux colosses aux pieds d’argile, s’observent depuis toujours avec une étrange fascination, oscillant entre l’idylle coupable et le duel fratricide. Mais aujourd’hui, c’est à un spectacle plus burlesque que dramatique auquel nous assistons : un bal des hypocrites, où l’autel et la tribune se disputent les âmes des fidèles et les votes des citoyens.

La question n’est pas dans les diatribes d’un évêque indigné ou les errements d’un pasteur à la rhétorique douteuse. Elle n’est pas non plus dans les applaudissements appuyés d’un prophète adoubant un président sous des hymnes à la gloire divine. Non, le cœur du problème est bien plus insidieux : c’est un malentendu, un quiproquo presque shakespearien. L’État, croyant trouver dans l’Église un allié docile, a fini par lui tendre les clés du palais. L’Église, croyant parler au nom de Dieu, a pris goût à la tentation du pouvoir. Et voilà comment le sermon dominical s’est transformé en discours de campagne.

L’autel devient une tribune.

À force de vouloir que les fidèles soient aussi des électeurs, les politiciens ont fini par sacraliser la politique et par politiser la foi. Chaque promesse électorale est enveloppée d’un zeste de divin, chaque échec de l’État justifié par un péché originel dont personne ne veut vraiment assumer la responsabilité. Le problème, voyez-vous, c’est que lorsqu’on mélange l’eau bénite au vin de l’ambition, le breuvage devient imbuvable.

Les religieux troquent leurs bibles contre des agendas.
De leur côté, certains hommes de foi se découvrent des talents insoupçonnés pour la rhétorique politicienne. Ils troquent la transcendance pour des alliances stratégiques, et les psaumes deviennent des manifestes déguisés. On ne prie plus pour la justice divine, on négocie pour un poste ministériel. La foi, autrefois arme de résistance, devient outil d’opportunisme. Et dans ce chaos orchestré, qui peut encore distinguer le prophète du propagandiste ?

Une double perte

Mais le piège est là, mes compatriotes : en flirtant avec l’Église pour mieux asseoir leur pouvoir, nos dirigeants ont construit une prison dont ils ont eux-mêmes forgé les barreaux. Car une Église politisée n’est plus une Église neutre ; elle devient une faction, un parti parmi d’autres, prête à renverser l’autel sur lequel elle se tient dès qu’une autre promesse, plus alléchante, se profile à l’horizon.

Et qui perd dans cette comédie ? Tout le monde. L’Église, qui s’affaiblit en devenant un acteur du cirque politique, perd sa légitimité spirituelle. L’État, qui confond leadership et quête de légitimité divine, perd sa capacité à gouverner avec rationalité. Et le peuple, fidèle ou sceptique, se retrouve abandonné dans ce no man’s land où ni la prière ni la politique ne suffisent à combler le vide d’un leadership absent.

Alors, que faire ? Peut-être faut-il simplement réapprendre à tracer des frontières claires. L’Église ne sauvera pas l’État, pas plus que l’État ne sauvera l’Église. Que chacun reprenne sa place, sa mission, son langage. L’autel pour les âmes, la tribune pour les débats. Et si l’on veut mêler les deux, alors qu’on le fasse avec l’humilité du serviteur, et non avec l’avidité du conquérant.

En attendant, continuons d’assister à ce théâtre absurde, où les saints s’encanaillent et les politiciens s’imaginent apôtres. Mais souvenons-nous : chaque acte a sa fin. Et quand le rideau tombera, il ne restera que les ruines de cette fusion contre-nature. À Dieu l’Église. La politique aux politiques. C’est peut-être ça, le véritable équilibre dont nous avons besoin pour avancer. Pas une fusion, mais une séparation claire, respectueuse et nécessaire. Amen ? Pas forcément. Mais méditons.

Litsani Choukran,
Le Fondé.

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