Entre les accusations tonitruantes de Florimond Muteba et les attentes colossales des millions de victimes des violences sexuelles en RDC, le FONAREV se retrouve au cœur d’une tempête médiatique. Créé en 2022 pour offrir des réparations aux survivant.e.s des violences sexuelles liées aux conflits et des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ce fonds suscite autant d’espoir que de critiques. Muteba accuse le fonds de percevoir 27 millions de dollars par mois, qu’il attribue à une gestion opaque orchestrée par la Première Dame Denise Nyakeru Tshisekedi. Mais qu’en est-il vraiment ? Entre faux chiffres et défis structurels bien réels, ce fact-check démêle le vrai du faux et met en lumière les obstacles auxquels fait face cette initiative ambitieuse de justice réparatrice.
Contexte
Le FONAREV (Fonds National des Réparations des Victimes) a été créé en 2022 par la Loi n°22/065 du 26 décembre 2022 pour fournir des réparations aux victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des crimes contre la paix et la sécurité en République Démocratique du Congo (RDC). Florimond Muteba, président de l’Observatoire des Dépenses Publiques (ODP), a récemment accusé le fonds de percevoir et détourner 27 millions de dollars par mois, qu’il attribue à une gestion opaque prétendument menée par la Première Dame Denise Nyakeru Tshisekedi.
Voici une vérification des faits basée sur des documents officiels, des témoignages et des analyses disponibles.
1. Le FONAREV perçoit-il 27 millions de dollars par mois ?
Fait avancé par Muteba : Le FONAREV percevrait 27 millions USD par mois.
Réalité : Les premiers revenus du FONAREV issus essentiellement de la redevance minière n’ont commencé à être perçus qu’en décembre 2023, soit presque 1 an après sa création, en raison de retards administratifs et de l’installation de mécanismes de recouvrement.
Source: le Fonarev, la Direction des mines, le Ministère des mines et l’ITIE.
Les montants collectés mensuellement à ce jour n’ont aucune correspondance avec les 27 millions avancés par Muteba. Des difficultés dans la traçabilité des redevances minières et des retards dans les paiements par les opérateurs miniers ont ralenti les entrées de fonds.
Source: la Direction des mines, le Ministère des mines et l’ITIE.
Léon Amisi, Sous-Directeur à la Direction des mines, qualifie ce chiffre de « fantaisiste » et précise que le système en place ne permet pas d’atteindre un tel niveau de recettes pour le moment.
Source: Interview avec BETO, Documents officiels de la Direction des mines, le Ministère des mines et l’ITIE
Verdict : Les chiffres avancés par Muteba sont infondés et faux.
2. Les redevances minières sont-elles utilisées pour les réparations des victimes ?
Fait avancé par Muteba : Les fonds issus des redevances minières seraient détournés.
Réalité : Conformément au Code Minier révisé en 2018 et aux décrets d’application de 2023, 11 % des redevances minières collectées sont affectées au FONAREV. Ces fonds proviennent de :
6 % des redevances dues à l’État.
2 % des redevances des provinces minières.
1 % des redevances des entités locales.
2 % du Fonds Minier pour les Générations Futures (FOMIN).
Chaque contribution est soumise à un processus rigoureux de déclaration, de vérification et de contrôle par les divisions provinciales des mines et les banques partenaires.
Source: Le code minier consolidé de 2018, le Réglément minier, la Loi Fonarev, les documents officiels de la Direction des mines, le Ministère des mines et l’ITIE
Verdict : 11% de redevances minières sont légalement et structurellement dédiés au FONAREV, mais leur collecte est encore en phase de consolidation.
3. La Première Dame gère-t-elle directement le FONAREV ?
Fait avancé par Muteba : Denise Nyakeru Tshisekedi gérerait personnellement le FONAREV.
Réalité : Le FONAREV est administré par un Conseil d’administration et une Direction générale, indépendants de la Première Dame.
La Direction Générale est dirigée par Patrick Fata, nommé en septembre 2024 en remplacement de l’ancien Directeur Général nommé en juin 2023, et inclut deux Directeurs Généraux Adjoints. Ces membres ne rendent pas compte à la Première Dame, mais aux organes de contrôle étatiques. Les survivant.e.s/victimes sont représentés dans ce deux organes par Mesdames Tatiana Mukanire Bandalire et Emmanuella Zandi Muderhwa respectivement Administratrice et Directrice Générale Adjointe en charge des opérations opérationnelles, des violences sexuelles et autres crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Denise Nyakeru, Ambassadrice de Nations Unies sur la question de violences sexuelles liées aux conflits depuis décembre 2023, joue un rôle de plaidoyer international et national pour attirer l’attention sur les besoins des victimes, sans intervenir dans les opérations quotidiennes du fonds.
Aucune préuve avancée par Muteba ni source.
Verdict : L’affirmation de Muteba est fausse. Denise Nyakeru n’a aucun rôle opérationnel dans la gestion du FONAREV.
4. Les victimes bénéficient-elles des fonds ?
Fait avancé par Muteba : Les victimes ne bénéficieraient pas des fonds du FONAREV.
Réalité : Depuis 2023, le FONAREV s’est concentré sur l’identification et la certification des victimes, un processus long et complexe impliquant des ONG locales et des autorités locales. Près de 10 000 incidents ont été certifiés à ce jour.
Les premières indemnisations sont prévues pour janvier 2024, marquant une étape importante dans la mise en œuvre des réparations.
Verdict : Les victimes sont intégrées au processus, bien que le fonds soit encore en phase d’installation et structuration.
Source: Interview de BETO avec le FONAREV + Interview de Beto avec Muteba
5. Les ressources actuelles du FONAREV sont-elles suffisantes ?
Fait avancé par Muteba : Le FONAREV aurait les moyens financiers d’indemniser les victimes mais ne le ferait pas.
Réalité : Avec plus de 10 millions de victimes estimées, les besoins sont colossaux. Même si le fonds percevait les 27 millions USD mensuels avancés par Muteba, cela représenterait environ 32 USD d’indemnisation financière par victime, un montant dérisoire face aux besoins notamment la prise en charge médicale, juridique, la réinsertion socio-économique et les réparations collectives (construction des stèles, des centres communautaires, des écoles, des centres de santé, ) demandées par les survivant.e.s.
Les projections internes montrent qu’il faudrait environ 10 milliards de dollars pour offrir une réparation significative à toutes les victimes, un objectif encore hors de portée.
Source: Interview avec BETO, Documents officiels la Direction des mines, le Ministère des mines et l’ITIE, Interview avec Muteba et la Direction Générale du Fonarev
Verdict : Les ressources actuelles sont insuffisantes pour répondre à l’ampleur de la tâche.
Conclusion
Les accusations de Florimond Muteba sont largement infondées et manquent de preuves probantes. Les défis auxquels fait face le FONAREV sont réels, mais l’institution avance progressivement pour remplir sa mission. La transparence et la mobilisation internationale restent essentielles pour garantir l’efficacité et la durabilité du fonds.
Critiques crédibles contre le FONAREV
Bien que les accusations contre le FONAREV soient en grande partie infondées, certaines critiques méritent d’être prises en compte. Les retards administratifs dans la mise en œuvre du fonds, combinés à des lenteurs dans la collecte des redevances minières, limitent sa capacité à atteindre les victimes. Le processus d’identification, crucial pour garantir des réparations justes, reste entravé par des défis logistiques et un manque de mécanismes rapides et fiables, en particulier dans les zones de conflit. Par ailleurs, la communication autour de l’utilisation des fonds et des progrès réalisés reste insuffisante, alimentant le scepticisme public. Enfin, malgré la participation des victimes au Conseil d’administration et à la Direction Générale, leur influence réelle dans la prise de décision pourrait être jugée marginale, tandis que la complexité bureaucratique et administrative liée à la forme juridique du Fonds ralentit les opérations. Ces faiblesses, bien que structurelles, soulignent la nécessité de renforcer la transparence, l’efficacité et l’inclusivité du fonds pour répondre aux attentes des survivants.
Source: Interview de Beto avec le Fonarev, avec Muteba, avec la Direction des mines et informations concordantes.