« Les Grandes Idées », c’est une tribune accordée aux intelligences congolaises pour apporter un regard prospectif sur les grands enjeux de la RDC et de l’Afrique médiane. Aujourd’hui, c’est Dr. Noël Tshiani, expert de la Banque Mondiale qui décrypte la crise à la BIAC et formule des recommandations.
La situation de la BIAC est très préoccupante et exige la vérité de la part du gouvernement, de la Banque Centrale et de la BIAC pour rassurer le public au regard de l’expérience récente avec les banques telles que La Banque Congolaise et d’autres.
Une banque en difficultés a besoin d’un plan de redressement. Ces difficultés peuvent être moindres, graves ou très graves. C’est comme un malade qu’on amène chez un médecin. Tant que le malade respire, on doit essayer de le sauver. Cela ne veut pas dire qu’on réussirait à sauver le malade si la maladie a atteint un point de non-retour. Je ne suis donc pas surpris que le gouvernement, la banque centrale et les actionnaires cherchent encore des voies et moyens pour sauver la banque surtout que les conséquences de la liquidation peuvent être plus catastrophiques pour le personnel, les déposants, les clients, le système bancaire et l’économie.
Il faut toutefois noter que le changement de la direction de la banque indique que la situation est plus que grave. Les deux prochaines semaines seront cruciales pour déterminer le sort de la Banque.
N’oublions pas que la BIAC est la troisième banque du pays.
Sa faillite pourrait entrainer une véritable crise de confiance dans le système. Elle pourrait donc bénéficier de ce que nous appelons en Anglais le Príncipe de « too big to fail », et donc d’une banque qu’il faut sauver quel que soit le coût !
Il est important que le gouvernement et la Banque Centrale rassurent le public que les dépôts sont en sécurité.
A cet effet, Je recommande de publier les conclusions de l’audit fait par la BCC sur la situation de la BIAC.
Cet audit fut fait par le département de la supervision bancaire de la BCC en Janvier ou février 2016.
En particulier, il faut que la BIAC et la BCC disent comment les provisions additionnelles d’environ 70 millions de dollars seront financées. Ensuite, il est nécessaire que le gouvernement et la BCC rassurent par une déclaration que tous les dépôts seront remboursés si la BIAC tombe en faillite.
Sans cette assurance, il n’est que normal que le public se précipite à faire des retraits de ses dépôts.
Enfin, la BIAC étant une banque familiale appartenant à la famille Blatner, il serait utile que le gouvernement révèle les informations sur la surface financière de cette famille et démontre clairement son aptitude financière à sauver la banque notamment par une recapitalisation adéquate de l’institution.
Sans ces trois éléments additionnels, la déclaration faite par le Ministre de la communication et des medias ne vaut absolument rien et n’est pas suffisante pour juguler la crise de confiance dans la BIAC et dans le système financier congolais.
Je voudrais saisir cette opportunité pour interpeller la BCC sur sa capacité à superviser le système financier.
En particulier, Je demande au Gouverneur de la BCC de faire une déclaration détaillée sur la santé financière et institutionnelle de chacune des banques en fonction en RDC. Une telle déclaration écrite doit être suivie d’une comparution devant le parlement dans les 7 prochains jours pour permettre aux députés nationaux de poser des questions dans une audience télévisée pour que le public ait l’information et les assurances nécessaires.
La répétition des faillites bancaires pendant ces 20 dernières années devrait interpeller les autorités de la République Démocratique du Congo et de la Banque Centrale du Congo. Pendant cette période, plusieurs grandes banques (La Banque Congolaise, la Nouvelle Banque de Kinshasa, la Banque Congolaise du Commerce Extérieur, …) ont été liquidées sans que le public congolais ne soit remboursé de ses dépôts.
Il est temps que le législateur congolais demande des explications au Gouverneur de la Banque Centrale du Congo et au Ministre des finances sur le sort des dépôts des clients des banques liquidées et pourquoi malgré cette expérience malheureuse, rien n’a été fait jusqu’à ce jour pour sécuriser les dépôts bancaires et protéger l’épargne des congolais.
Je recommande à l’assemblée nationale et au sénat d’ordonner à la banque centrale et au gouvernement la mise en place d’un mécanisme explicite de protection des dépôts bancaires tels qu’une institution de garantie des dépôts bancaires ; et de revoir les conditions de capital minimum des banques commerciales. En plus, je recommande de revoir la structure de capital des banques dans le sens d’une plus grande diversification et afin de diminuer la prédominance de quelques familles dans l’actionnariat des banques en RDC.
Le parlement doit enfin exiger à la BCC de publier l’actionnariat détaillé de toutes les banques et de révéler la surface financière des familles qui dominent le secteur bancaire congolais pour s’assurer de leur aptitude à intervenir pour sauver leurs institutions en cas de difficulté comme c’est le cas actuellement avec la BIAC.
En l’absence d’une explication claire et satisfaisante à ces préoccupations, il est recommandé au Parlement et aux institutions de la République de tirer toutes les conséquences qui s’imposent suite à la l’incapacité de l’autorité monétaire et du gouvernement de protéger l’épargne des citoyens congolais et de permettre le fonctionnement harmonieux et efficace du système financier et de l’économie du pays.
Fait à Washington, DC
Le 01 Avril 2016
Dr. Noel K. Tshiani Muadiamvita
Noel K. Tshiani M. est Docteur en Sciences Economiques et un Haut fonctionnaire international travaillant pour la Banque mondiale depuis 25 ans. Pendant cette période il a occupé plusieurs fonctions dont celles de Chef de mission en charge du secteur financier et privé et de Directeur résident de la Banque mondiale en Afrique. En tant qu’Expert, Dr. Noël K. Tshiani avait co-présidé en 1997 à Kinshasa la Commission de Réforme Monétaire qui avait conçu le Franc congolais en remplacement du Zaïre-monnaie.
Son cursus universitaire comprend une formation de Manager au Graduate Business School à Harvard University à Boston ; un doctorat en sciences économiques avec spécialisation en banques et finances de l’Université de Paris IX Dauphine; un M.B.A en banques et marchés financiers d’Adelphi University à New-York ; un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées (D.E.S.S.) en gestion financière et fiscalité de l’Université de Grenoble ; un Diplôme de Troisième Cycle de l’Institut Supérieur de Gestion à Paris; et une Maîtrise en économie de l’Université de Liège.
Dr Noël K. Tshiani est l’auteur de cinq livres intitulés : (1) La Force du Changement : Bâtir un pays plus beau qu’avant (Les Editions du Panthéon, Paris, Avril 2016); (2) Aux grands maux, les grands remèdes : Un plan Marshall pour la RDC (Les Editions du Panthéon, Paris, Avril 2016); (3) La Bataille pour une monnaie nationale crédible (De Boeck, Bruxelles, Décembre 2012) ; (4) Vision pour une monnaie forte (L’Harmattan, Paris, 2008) ; et (5) Building Credible Central Banks (Hampshire-UK, 2009). Il est également l’auteur de plusieurs articles dont quelques-uns sont : (1) How to reform the Democratic Republic of the Congo (Time Magazine, London, January 22, 2016) ; (2) la chute de l’euro et son incidence sur l’économie (Le Potentiel, Kinshasa, 2010) et (3) Pour l’indépendance de la Banque Centrale du Congo (Africa International, numéro 342 ; Paris, April 2001).
P.S. Cette déclaration n’engage que son auteur et ne peut être attribuée à une institution quelconque ou son employeur.