Depuis novembre dernier, le Mouvement du 23 Mars (M23) a repris ses activités militaires dans l’Est de la République démocratique du Congo. Cette semaine, alors qu’elles ont été victimes d’une nouvelle incursion de ce mouvement rebelle, les forces armées congolaises ont ouvertement accusé le Rwanda voisin d’avoir pris part à cette attaque, exhibant deux présumés militaire de l’armée rwandaise captures. Que se passe-t-il ? Ces accusations sont-elles vraies ? Qui a raison ? Que se passe-t-il vraiment sur le terrain. Pour répondre à ces questions, POLITICO.CD est allé interviewer Christoph Vogel, chercheur et enquêteur spécialisé sur les groupes armés en RDC.
Bonjour. M. Vogel. Des nouveaux affrontements ont eu lieu dans l’est de la RDC. Que sait-on réellement de ce qui s’est passé ?
Ces affrontement ont eu lieu entre les FARDC et des unités ex-M23, désormais connues sous le nom ARC. Ils s’inscrivent dans une série d’escarmouches qui ont opposés les deux forces depuis plusieurs mois, et dans un sens plus large, le retour desdites unités ex-M23 en RDC depuis fin 2016, quand ils se sont installés dans le triangle frontalier entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda.
Que cherche le M23 et pourquoi ces attaques soudaines ?
Il en sort des communications publiques et formelles que le M23 cherche tout d’abord un reconnaissance par Kinshasa. Il faut rappeler que, ensuite de sa défaite militaire, le mouvement s’est retrouvé en négociations avec Kinshasa. Ceux-ci n’avaient jamais abouti formellement. Du point de vue du gouvernement congolais, une négociation entre égaux n’était opportune, vu la victoire militaire apparente. Du coté M23, ce point de vue n’était partage et il en ressort de nombreuses communications depuis 2013 que le mouvement estime que ni les revendications qui avaient amenés a la création de cette rebellion en 2012, ni des résultats préliminaires des pourparlers de Kampala en 2013 et 2014 auraient été appliques. Cependant, les ex-M23 présents a l’est de Rutshuru depuis 2016/2017 peuvent avoir vu le contexte de l’état de siège et puis les auspices d’un nouveau programme national de DDR comme moment de prédilection pour hausser la pression militaire sur le gouvernement. Néanmoins, il n’est pas tout à fait clair quelle combinaison ou contingence d’évènements à façonner le timing précis de cette escalade.
Les autorités de Kinshasa accusent de manière ouverte le Rwanda d’avoir soutenu des éléments du M23 dans ces énièmes affrontements. Elles ont exhibé deux présumés militaires rwandais arrêtés au front. Ce que Kigali nie. Qu’en est-il ? Qui dit la vérité ?
En effet, deux personnes furent présentés le soir du 28 mars à Goma. Il existe un communiqué d’un groupe armé connu sous le nom de « Collectif des mouvements pour le changement », lui-même hostile aux ex-M23, daté janvier 2022, qui cité l’un des deux noms avancés par le porte-parole du gouvernement militaire du Nord-Kivu. Il est donc à ce stade pas évident de confirmer une des différentes versions qui circulent, car aucune version a été publiquement étalée et accompagnée d’une documentation complète quant aux différents questionnements y associés.
Un hélicoptère de reconnaissance de la MONUSCO a fait crash dans la zone des affrontements ce 29 mars. Que sait-on sur cet évènement ?
Différents acteurs se sont précipités de donner leur version sur le crash. Cependant, en attendant une analyse professionnelle de l’épave, ainsi qu’une enquête balistique au cas où l’hypothèse d’un accident serait écartée, il semble prématuré d’assigner une responsabilité. Il sied ainsi de patienter, non seulement pour éviter une récupération de cette tragédie, mais aussi pour éviter de mettre davantage du feu sur l’huile dans un contexte generale marque par nombre de tensions.
Alors que les relations entre Kinshasa et Kigali semblaient être au beau-fixe, avec notamment les visites du président Tshisekedi à Kigali et celles de Paul Kagame à Kinshasa et la signature de contrats commerciaux, qu’est-ce qui justifie cette escalade soudaine ?
Ici, il faut certainement prendre en compte les différents niveaux et échelles potentiellement impliqués. Bien que le soutien du Rwanda ait des rebellions congolaises telles que le RCD-Goma et le CNDP a été largement prouvé dans le passé, ce soutien était déjà bien plus indirecte a l’époque du M23 en 2012 et 2013. Pourquoi ceci est important ? En effet, nombre d’analyses dressent un tableau « plat » des conflits dans la région. Une telle perspective rend difficile de gauger l’entièreté des acteurs et leurs motivations. Les leaders du M23, en occurrence, ont longtemps été partage entre proximité avec certains pays voisins et leur propre agenda qui ne peut ou pas coïncider avec celle de Kigali. Identifier une rebellion comme le M23 comme simple pion du Rwanda ne rend pas forcement justice a la complexité du conflit. Bien que l’issu de l’escalade actuelle est difficile à prévoir, il n’est donc pas un déterminisme automatique que le relations entre Kinshasa et Kigali évoluent selon la situation militaire. Néanmoins, étant donné l’histoire marque par nombre de tensions, le risque d’un impact sur ce beau-fixe existe aussi.
Cela serait-il lié à la décision de Kinshasa de lancer des opérations conjointes avec l’armée Ougandaise ?
Plusieurs analystes et diplomates discutent cette hypothèse, mais les dynamiques politiques offrent des pistes pour différentes réponses a cette question. D’un cote, les relations entre Kampala et Kigali n’ont été bonnes ces dernières années, et ainsi l’intervention UPDF au Nord-Kivu et en Ituri est vu avec une certaine méfiance, notamment au cas où elle s’étendrait vers la zone de Rutshuru, territoire voisin a la fois au Rwanda et a l’Ouganda, ou l’escalade autour du M23 est en train de se produire. De l’autre côté, une diplomatie intense s’est produite entre les deux capitales voisines depuis plusieurs semaines, notamment à travers des visites qui ont amené le chef de l’armée de terre ougandaise chez le président rwandais.
Sur le plan militaire, l’armée congolaise est-elle capable de défaire les M23 ? Quelle serait la solution idéale pour mettre fin à ce conflit ?
D’un point de vue personnel en tant que chercheur qui s’intéresse aux conflits et a la mobilisation armée, je doute qu’une solution militaire seule peut mettre terme a des guerres ou conflits. L’exemple des ADF autour de Beni le montre autant que d’autres conflits au niveau international tels que l’invasion de l’Ukraine. Néanmoins, l’armée congolaise a son rôle constitutionnel a jouer, qui consiste notamment dans la protection du territoire national au long des frontières de la RDC. Parcontre, et étant donné la longévité des conflits à l’est de la RDC, la multitude de belligérants qui opèrent dans la région mais aussi les canaux diplomatiques entre Kinshasa, Kigali et Kampala, il serait souhaitable de ne pas couper la communication pendant une situation aussi tendue. Outre, en vue d’un nouveau programme national de DDR qui s’annonce, il est autant nécessaire de créer des voies et scenarios convaincantes pour ceux qui ont pris des armes. Cela ne devait ni se traduire en impunité pour des crimes de guerre, ni en situation de deux poids deux mesures, mais envers une vision qui prête plus d’attention aux réalités de vie des populations civiles autant que combattants.
Existe-t-il un risque de voir les armées rwandaise et ougandaise s’affronter de nouveau sur le sol congolais ?
A ce stade, ce risque semble encore assez faible. Bien que la fameuse bataille de Kisangani ait créé un précède dangereux, la situation d’aujourd’hui est nettement différente. A la lumière du récent jugement de la Cour internationale de justice contre l’Ouganda, qui prévoit des réparations au profit de la RDC, mais aussi la réaction internationale forte envers le Rwanda lors de la prise de Goma par le M23 en 2012, un tel scenario parait diplomatiquement assez couteux pour les deux pays en question. Néanmoins, des tensions ont récemment marquées les relations entre Kigali et Kampala. D’autant plus, historiquement, les deux voisins de la RDC ont vu l’est du Congo comme zone d’influence naturelle – repartie géographiquement dans un espace d’intérêt ougandais qui couvre le Grand Nord autour de Beni et Butembo ainsi que l’Ituri et un autre, dit le Petit Nord, au long de la frontière rwandaise avec le Nord-Kivu. Beaucoup dépendra aux calculs stratégiques des deux pays, bien qu’il ne semble qu’aucun des deux pays serait ouvertement belliqueux envers l’autre dans le contexte précis autour du M23. Tandis que le Rwanda n’a fait aucun signe de vouloir intervenir directement, l’Ouganda s’est soigneusement limité à engager le M23 en proximité immédiate de ses frontières.
Merci.
Propos recueillis par Litsani Choukran.