La République Démocratique du Congo (RDC) se trouve à un carrefour diplomatique critique, jonglant avec les intérêts de puissances mondiales antagonistes. Récemment, l’ouverture de l’ambassade d’Ukraine à Kinshasa et la réception de Maksym Subkh, Représentant spécial de l’Ukraine, par Christophe Lutundula, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et Francophonie, ont symbolisé une ouverture notable vers l’Ukraine. Lutundula a exprimé l’intérêt de la RDC pour renforcer les liens avec l’Ukraine, soulignant l’importance de la coopération internationale. « Nous saluons l’engagement de l’Ukraine pour établir une présence diplomatique significative en RDC. Cela pourrait revitaliser les échanges bilatéraux entre nos deux pays, » a-t-il déclaré.
Parallèlement, la position de la RDC sur la scène internationale, particulièrement son vote contre l’invasion russe de l’Ukraine, démontre un engagement en faveur des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale. Cependant, cette position est tempérée par des interactions pragmatiques avec la Russie, surtout en matière de coopération militaire, ce qui révèle un équilibrage subtil des alliances pour protéger les intérêts nationaux de la RDC dans une région instable.
Accords de défense et double jeu
L’ambivalence de la RDC est encore plus apparente face aux accords de défense avec la Russie. Ces accords, bien que présentés comme des discussions en cours depuis 1990, indiquent une volonté de Kinshasa de diversifier ses alliances sécuritaires. Cette démarche est vue par certains comme une nécessité pour contrer les menaces régionales, notamment celles émanant des agressions rwandaises via le M23 et autres groupes armés. Le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, a tenté de minimiser ces accords, les qualifiant de simples discussions préliminaires. « Il s’agit principalement d’un projet d’accord en cours d’examen. Ce n’est pas encore une mise en œuvre concrète, » a-t-il précisé.
Cependant, cette ratification suggère une stratégie de Kinshasa visant à maintenir des options ouvertes avec Moscou, malgré les engagements internationaux de la RDC envers l’Ukraine. Ce double jeu pourrait refléter un calcul stratégique destiné à maximiser les avantages géopolitiques sans s’aliéner les puissances occidentales ou orientales.
L’attitude critique de Félix Tshisekedi envers les politiques occidentales, exprimée lors d’une interview avec LCI, met en lumière un sentiment de frustration vis-à-vis des interventions occidentales en Afrique. Tshisekedi a évoqué une préférence pour des partenariats qui respectent davantage les intérêts africains, comme ceux proposés par la Russie et la Chine. « Les partenaires traditionnels n’ont pas toujours respecté nos intérêts. En revanche, la Russie et la Chine proposent une approche basée sur le respect mutuel et des intérêts partagés, » a-t-il souligné.
Yo-yo avec la Chine et la SADC
En plus de jongler entre l’Occident et l’Orient, Tshisekedi a également cherché à renforcer les relations avec la Chine, une autre puissance mondiale avec des investissements substantiels en Afrique. Son voyage à Pékin quelques mois après son engagement à renégocier les contrats miniers congolais marque un tournant significatif. Lors de cette visite, Tshisekedi a rencontré le président chinois Xi Jinping pour discuter de la révision d’un contrat jugé trop favorable à la Chine, signé en 2008 sous l’administration de son prédécesseur.
Cet accord initial prévoyait que la Chine construise des infrastructures en RDC en échange de l’accès aux minerais. Toutefois, des enquêtes ont montré que les bénéfices pour la Chine étaient énormément disproportionnés par rapport à la valeur des infrastructures réalisées. L’enquête de l’Inspection générale des finances a mis en lumière des malversations financières et une surfacturation significative des travaux réalisés.
Le processus de renégociation, comme le souligne Grégoire Kiro, député et vice-président de la commission économique et financière, n’est pas immédiat mais démontre une volonté de rectifier les termes pour équilibrer les bénéfices. « C’est un processus. Il vient de commencer. Il prendra du temps. Mais au final, nous serons gagnants, » assure-t-il. Matthieu Takizala, économiste et entrepreneur, critique néanmoins le manque d’implication des entrepreneurs locaux dans ces grands contrats, soulignant une opportunité manquée pour l’économie congolaise.
En renforçant les relations avec la Chine, Tshisekedi ne se contente pas de chercher un meilleur accord pour les minerais de la RDC. L’accord de coopération signé avec Huawei pour le développement du numérique témoigne de son intention de diversifier les engagements avec Pékin au-delà des ressources naturelles. Cette stratégie illustre sa tentative de balancer l’influence occidentale par des partenariats stratégiques avec l’Est, tout en cherchant à garantir que les intérêts de la RDC restent protégés et respectés.
Déçu par l’Occident
En début de mandat, Tshisekedi a semblé s’éloigner de certains alliés traditionnels de la RDC en se rapprochant des États-Unis et en collaborant étroitement avec le Rwanda de Paul Kagame, ce qui a suscité des critiques au sein de la SADC. Cependant, face aux tensions croissantes avec l’Occident et les défis sécuritaires régionaux, il a commencé à rétablir les liens avec la SADC, réaffirmant l’importance de cette alliance pour la stabilité régionale.
En effet, au début de sa présidence, Félix Tshisekedi avait semblé délaisser certains alliés traditionnels de la République Démocratique du Congo en favorisant un rapprochement avec les États-Unis et en entretenant une collaboration étroite avec le Rwanda de Paul Kagame. Ces actions ont suscité des remous au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Toutefois, les relations peu fructueuses avec l’Occident, caractérisées par un manque de résultats concrets malgré ses nombreux voyages aux États-Unis — y compris l’absence d’une invitation à la Maison Blanche — ont commencé à peser lourd. En effet, contrairement à 2012 sous Joseph Kabila, où l’Occident avait imposé des sanctions contre le Rwanda en réponse à son agression, cette fois, aucune mesure significative n’a été prise, malgré les attaques rwandaises.
Cette inertie occidentale, combinée à l’absence d’investissements américains substantiels malgré l’activisme de l’ancien ambassadeur à Kinshasa, Mike Hammer, a accru la frustration de Tshisekedi. En réaction, il a progressivement redirigé sa politique étrangère vers le renforcement des liens avec la SADC, cherchant ainsi à retrouver une solidarité régionale. Simultanément, il a exploré des relations plus étroites avec les puissances orientales, notamment la Russie et la Chine, tout en restant prudent dans ses engagements, reflétant une tentative de repositionnement stratégique face à un paysage géopolitique global de plus en plus complexe.
Un équilibrisme qui fait reculer l’engage russe en faveur de la RDC
Cette réorientation diplomatique pourrait être une réponse aux besoins de la RDC de diversifier ses sources de soutien international, surtout en matière de défense et de développement économique. Tshisekedi a également souligné l’importance de l’autonomie africaine dans la conduite de ses affaires internationales, remettant en question les normes occidentales de démocratie et de gouvernance.
Le jonglage diplomatique de Kinshasa entre les puissances orientales et occidentales soulève des doutes à Moscou concernant la constance et le sérieux de la RDC. Malgré les rencontres répétées entre le président Félix Tshisekedi et Vladimir Poutine, la Russie montre une réticence à s’engager profondément en RDC, contrairement à son implication dans d’autres pays africains comme le Mali, la Centrafrique, et le Soudan. Cette prudence russe peut être perçue comme une conséquence de l’approche équilibrée, parfois perçue comme hésitante, de Kinshasa, qui tente de maintenir un équilibre délicat entre divers partenaires internationaux sans définir clairement une orientation stratégique stable.
D’autre part, les relations cordiales entre le Rwanda et la Russie compliquent davantage la situation pour la RDC. Le Rwanda a non seulement réussi à établir des liens solides avec Moscou mais aussi à se positionner comme un partenaire fiable dans la région. Cette dynamique influence potentiellement la décision de la Russie de ne pas s’engager de manière plus significative en RDC, où l’aide militaire et sécuritaire serait cruciale pour contrer les menaces régionales, notamment l’agression du Rwanda soutenu par le M23.
Ces interactions géopolitiques mettent Kinshasa dans une position précaire, obligée de naviguer entre des alliances complexes et de gérer ses relations avec des puissances ayant des intérêts souvent divergents dans la région. La gestion de ces relations multilatérales devient alors cruciale pour la sécurité nationale de la RDC, laquelle est continuellement mise à l’épreuve par des tensions intercommunautaires et des conflits transfrontaliers exacerbés par les intérêts étrangers dans ses vastes ressources naturelles.
En conclusion, la diplomatie de la RDC entre la Russie et l’Ukraine illustre les complexités et les défis de la navigation dans un environnement international polarisé, mais également la continuité de la doctrine diplomatique de la RDC qui a toujours été celle de se situer entre les deux blocs mondiaux. Kinshasa a souvent jonglé avec ses alliances pour protéger ses intérêts nationaux tout en maintenant des relations équilibrées avec les grandes puissances mondiales. Ce délicat équilibre continuera de façonner la politique étrangère de la RDC dans un avenir prévisible, démontrant l’agilité nécessaire pour naviguer dans les eaux tumultueuses de la géopolitique mondiale. Néanmoins, dans un monde plus que jamais polarisé, la RDC se doit de choisir finalement un camp, au risque se retrouver coincé entre les puissants.
Litsani Choukran